Qui prend plaisir à la contemplation de sa flûte n'a pas manqué de s'interroger sur l'origine des bulles et de la mousse. OEnologues et chercheurs champenois s'intéressent de près à ce phénomène, qui est l'un des premiers critères d'appréciation du consommateur.
Dans une bouteille de champagne, la seconde fermentation alcoolique de prise de mousse génère une pression de 6 bars et des teneurs en CO2 de 10 à 12 g/l, maintenu dissout par la pression. A l'ouverture de la bouteille, le retour à la pression atmosphérique fait que le liquide est en sursaturation et ne demande qu'à céder son gaz carbonique (la teneur en CO2 est proche de huit fois la limite de saturation). Lorsqu'on verse le liquide dans un verre, la mousse naît d'un dégazage brutal, provoqué par l'incorporation de gaz, le choc du liquide et la formation de bulles sur les particules adsorbées par le verre. Rapidement, la mousse chute. Les bulles dégagées se dirigent alors vers le bord du verre pour former une collerette, ou cordon de mousse, qui persiste idéalement près de 5 min. C'est la phase d'effervescence. Les deux phénomènes, mousse et effervescence, sont donc liés à la naissance des bulles à l'intérieur du liquide. ' Une bulle ne peut pas naître à l'intérieur du liquide par nucléation homogène (cela demande trop d'énergie), ni à partir des particules du vin comme la bentonite, les cristaux de tartre... Une expérience de Saint-Gobain l'a illustré. Nous disposions de deux verres, dont un lavé par une procédure spéciale qui permet de désorber toutes les particules de sa surface. Le champagne versé dans le premier verre avait une mousse parfaitement normale alors que dans le second, le dégagement de mousse n'a eu lieu qu'au moment du versement. Après, le liquide avait le comportement d'un vin plat. En conclusion, une bulle ne peut naître qu'à partir d'une particule adsorbée à la surface du verre, au contact de laquelle est déjà présente une petite poche d'air ', explique Bertrand Robillard, du laboratoire de recherche de Moët et Chandon (Marne). ' La mousse résulte d'un équilibre entre des phénomènes qui la construisent et ceux qui la détruisent ', poursuit Bertrand Robillard. En effet, la mousse est un amas de bulles, séparées par des films de liquide qui tendent à devenir de plus en plus minces car le liquide, plus dense, est naturellement drainé vers le fond du verre. Ces films qui s'amincissent, sont stabilisés par des molécules tensioactives présentes dans le vin : ce sont les protéines. Celles-ci ont une partie hydrophobe, qui s'oriente vers la phase gazeuse, et une partie hydrophile, qui s'oriente vers la phase liquide. Les recherches de l'Inra de Reims ont montré que la présence d'alcool, également tensioactif, favorisait la présence des protéines à l'interface. Les composés, tels que pectines et polyosides du vin, ont également un effet stabilisateur sur la mousse : présents en plus grande quantité dans la mousse que dans le vin dont elle provient, ils augmentent la viscosité du film de liquide qui séparent les bulles et limitent les phénomènes de drainage. L'amincissement des films se poursuit jusqu'à la rupture, qui provoque la coalescence des bulles et leur éclatement, au-delà d'une certaine taille. Un autre phénomène qui accélère la destruction de la mousse est la diffusion des gaz des petites bulles dans les plus grosses.La mousse est donc un phénomène dont la stabilité est liée à la composition du vin : plus le vin est riche en protéines, plus sa mousse sera stable. Toutefois, les composés précis impliqués dans la capacité de mousser et leurs interactions ne sont pas encore identifiés.En revanche, on dispose d'une méthode globale pour estimer la capacité de mousser des vins de base. La station oenotechnique de Champagne a travaillé, avec le laboratoire d'oenologie de Reims, sur le Mosalux. Il s'agit d'un appareil constitué d'une éprouvette graduée, au fond de laquelle un fritté permet d'injecter du gaz carbonique et de simuler l'effervescence résultant de la prise de mousse. Cette mesure a permis d'apprécier l'influence de traitements physiques ou chimiques des moûts et des vins. Par exemple, les traitements décolorants aux charbons végétaux, qui appauvrissent le moût en protéines et polyosides, ont des effets négatifs sur la mousse et sa tenue. Il faut donc réduire autant que possible la dose d'utilisation et le temps de contact. De la même manière, l'utilisation excessive de bentonite réduit la capacité moussante des vins. Par ailleurs, les travaux menés au laboratoire d'oenologie de Reims ont montré que les vins botrytisés moussaient très mal. Ceci serait lié aux activités protéasiques du botrytis. ' C'est à toutes les étapes de la chaîne de récolte et de vinification qu'il faut préserver les propriétés moussantes. Cela implique de récolter à une maturité adaptée, c'est-à-dire des raisins pas trop mûrs, entiers et de ne pas les triturer. Ensuite, nous nous sommes aperçus que le pressurage champenois et la sélection des jus avaient leur raison d'être: les deux premiers hectolitres ne sont pas moussants; ensuite, les jus issus des premières pressions sont les plus moussants et, au fur et à mesure du pressurage, la capacité moussante décroît. On cherchera à obtenir les moûts les plus propres pour éviter la bentonite, explique Philippe Poinsaut. Cet outil peut être utilisé avec profit pour ajuster les assemblages en fonction de la capacité moussante des vins de base ', poursuit-il. Les recherches se poursuivent à l'Inra de Reims : Roger Douillard et son équipe travaillent sur la mesure des propriétés de surface des vins, paramètre qui peut être corrélé à l'effervescence. D'un autre côté, le laboratoire d'oenologie de Reims, animé par Philippe Jeandet, travaille à une meilleure connaissance et quantification de l'effervescence, phénomène peu décrit jusqu'à présent.