Dans le spectacle Le Vin et le Masque, qui se joue actuellement à Paris, le Bordelais Eric Sanson est seul sur scène : il fait parler le vin à travers des auteurs célèbres.
Eric Sanson, cinquante ans, est ravi : son spectacle, qui vient à peine de démarrer, suscite de bonnes critiques. Il n'était connu que des Girondins, jusqu'à ce qu'il monte présenter Le Vin et le Masque aux Parisiens, début février. La scène a la taille d'un mouchoir de poche : deux fûts, une table, des bouteilles enveloppées dans du papier de soie, des étiquettes, le tout dans une petite salle voûtée, rue de Nesle, dans le VIe arrondissement. Avec une assurance et une sensibilité qui ne laissent personne indifférent, le comédien récite sur son estrade les douze textes, de différents auteurs, qu'il a réunis en un seul recueil. Le spectacle dure une heure environ. Les phrases s'écoulent par la voix de cet homme seul qui joue, simplement, le rôle d'un maître de chai, un tablier autour de la taille, amoureux de ses bouteilles.Ce qui est passionnant dans l'histoire de cet artiste, c'est de voir comment, par le vin, il est arrivé à ses fins. Le vin est ici bien plus qu'un produit, qu'un terroir; au-delà d'un vigneron ou d'un assemblage, il révèle le talent du conteur. A quatorze ans, Eric Sanson voulait faire du théâtre mais son père l'en dissuada. Il reviendra à la charge quinze ans plus tard. A trente ans, il est reçu par Jean Le Poulain, de la Comédie-Française, mais peut-être pas assez sûr de lui, il ne prend pas la perche qu'on lui tend. Une longue période s'ensuit, pendant laquelle l'homme ne pensera qu'à une chose : monter sur scène. C'est à quarante-six ans que tout se déclenche.Le vin entre dans sa vie par plusieurs portes. A la télévision, il entend parler un grand propriétaire médocain et s'enflamme : ' Après ça, je ne pouvais plus parler du vin de la même façon '. Par ailleurs, le monde viticole le fascine. En voyageant, il se rend compte de l'incroyable résonance que le mot ' vin ' éveille chez les étrangers. Il se sent alors investi d'une mission. ' Notre identité bordelaise a été nourrie par des siècles d'histoire contant le travail des vignerons, leurs vies. Leur oeuvre constitue notre passeport. C'est un bel héritage, mais difficile à assumer. ' D'un côté, le désir d'honorer le vin, de l'autre, la volonté d'aller jusqu'au bout de son idée (devenir comédien), tout se met en place. Un ami restaurateur lui propose de jouer devant ses clients. Il leur déclamera trente fois ' Oh! ministres intègres... ', de Victor Hugo (Ruy Blas). Le poisson mord. Après plusieurs rencontres, Le Vin et le Masque prend forme.Des textes de Jean Giono (Le Déserteur), Pierre Veilletet (Leçon de choses), Colette (Vin : Prisons et Paradis), Gaston Bachelard (La Vigne, le Vin des alchimistes), Charles Baudelaire (Du Vin et du Haschich comparés...), Raymond Dumay (Ce que nous apporte le vin), Michel Onfray (Les Formes du temps), Gérard Dauce (Le Nez du vin, Philtre d'amour), Bernard Cazaubon (In Vino veritas), Alain Aviotte (Le Vin), Jean-Pierre Xiradakis (Le bon Sens) et Sophie Guermes (Le Vin et l'Encre) composent la pièce. Du sur-mesure que le comédien a entièrement bâti pour que les phrases s'enchaînent.Un extrait? ' Et si nous nous occupions un peu de ce personnage vin d'une façon nouvelle. Voir plus loin son anatomie, siroter un bon coup de magie organique, tâcher de voir ce qu'il y a derrière sa matière et atteindre, s'il se peut, comme pour un homme - et il en est un - son appareil passionnel. Le vin est un personnage avec lequel il faut constamment compter. ' (Jean Giono). Le comédien ne s'est pas trompé. ' Je continuerai jusqu'à ce que je tombe. '. Pour l'instant, il prend son envol. Sa prochaine pièce est prévue pour décembre : Pilate, l'homme aux mains nettes, de Michel Suffran. Rien à voir avec le vin.