Retour

imprimer l'article Imprimer

archiveXML - 1999

Une viticulture tropicale avec deux récoltes par an

La vigne - n°99 - mai 1999 - page 0

Chef de file des pays producteurs de vin en zone tropicale, le Venezuela possède un vignoble jeune, essentiellement expérimental. La bodega Pomar en est le leader.

L'évocation d'un pays tropical ravive dans l'esprit des clichés du type cocotiers, bananeraies et bords de mer azurés. Difficile alors d'imaginer sous ces latitudes une étendue verdoyante de vignes vigoureuses de cabernet sauvignon, ou autres chenins, familiers de nos climats tempérés. Pourtant, le vignoble Altagracia du domaine Pomar, à 10°30 de latitude et 66°56 de longitude, est un exemple de réussite. Il est situé à 300 km à l'ouest de Caracas, dans l'Etat de Lara : 100 ha de vignes de raisins de cuve ont conquis une zone semi-désertique au pied de la sierra Paragua, une minicordillère en contrefort des Andes. Quarante personnes y sont employées. C'est une enclave de verdure dans un territoire quasi lunaire : un sol clair sableux, le lit asséché d'une hypothétique rivière, des épineux locaux et de maigres chèvres plantent le décor.Le vignoble du Venezuela est jeune et comprend 800 ha environ, surtout des raisins de table. Ces surfaces sont à la hausse. Les expériences menées par Pomar ont contribué à faire progresser la connaissance de la vigne en climat tropical. Les hommes déploient ici une grande énergie pour faire pousser de la vigne. Cette bodega est le résultat d'une joint-venture, réalisée en 1985, entre le cognac français Martel et Polar, le premier brasseur du pays. ' Lorsqu'il a été question d'installer un vignoble, les propriétaires ont prospecté dans la région. Altagracia a été choisi car, à 150 m sous terre, on trouve une nappe phréatique. Des pompes électriques acheminent en continu l'eau aux vignes ', explique Patrick Rabion, le directeur technique. Ce Français, diplômé de l'Institut d'oenologie de Bordeaux, est arrivé comme coopérant au Venezuela, il y a douze ans... il n'est jamais reparti.Ici, la particularité climatique tient à une égalité des écarts de température tout au long de l'année (un minimum de 20 et 23°C et un maximum de 33 et 35°C), à une alternance de deux périodes sèches (de décembre à mars et juin à août) et de deux saisons humides (avril à mai et septembre à novembre) avec un pic de pluviométrie à 150 mm en octobre. Les conditions sont réunies pour assurer la pérennité de la culture de la vigne : un climat sec comportant des saisons de pluies limitées dans le temps, des différences de températures suffisantes entre le jour et la nuit sur l'ensemble de l'année et une disponibilité totale en eau par un arrosage au goutte-à-goutte.' En 1986, nous avons démarré à tâtons. Il fallait réaliser une étude de fertilité technique et il était possible de tout essayer ', précise notre interlocuteur. Un premier vignoble expérimental de 4 ha a vu le jour, avec une vingtaine de variétés en provenance d'Espagne, d'Italie et de France : cabernet sauvignon, merlot, grenache, tempranillo, malvoisie, ugni blanc... ' Mais en viticulture, il ne suffit pas d'observer, encore faut-il avoir suffisamment de recul pour apprécier le comportement d'une variété et son adaptation à un nouvel environnement. 'Même travail pour le choix du porte-greffe. Ici, le phylloxéra n'est présent que sous sa forme gallicole, non radicicole. Après des essais de porte-greffes classiques, tout le vignoble d'Altagracia fut finalement planté, de 1987 à 1989, sur du criolla negra, un produit mis au point par l'Institut de la vigne de Barquisimeto, la capitale de l'Etat de Lara. ' Sous les climats chauds, la respiration est élevée et les plantes s'épuisent facilement. Nous poursuivons des essais avec d'autres porte-greffes ', ajoute-t-on. Aujourd'hui, la base de l'encépagement de ce vignoble est réalisée aux 2/5 es de cépages blancs (chenin majoritaire) et 3/5 es de rouges (syrah dominante). Le rendement moyen atteint 8 000 kg/ha.Des bâtiments et des matériels ultramodernes de vinification étaient acquis en 1989. Les premiers raisins étaient récoltés et vinifiés en mai 1990. En 1998, la production annuelle de la bodega représentait 60 000 caisses de vins. ' Le choix des cépages s'est effectué sur le critère de la fertilité basale des variétés. Car, en climat chaud, la dominance apicale de la vigne est accentuée. Pour y remédier, des essais de taille courte en cordon bilatéral ont donné de bons résultats. Dans certains cas, la taille Guyot, double ou simple, permet aussi de rajeunir les bois et une meilleure fertilité des bourgeons. Les vignes sont plantées à 2 700 pieds/ha ', poursuit Patrick Rabion.La vigne ne connaît pas de repos végétatif : il est donc nécessaire de régulariser sa croissance par le système de la double taille annuelle. Elle consiste à tailler à la fin de chaque période pluvieuse. 115 à 120 jours après la taille, une récolte a lieu : la première en mars, la seconde en septembre. Ici, les moindres problèmes sont accentués. En période de pluies et avec 30°C en continu, le mildiou et l'oïdium s'en donnent à coeur joie. Les attaques prennent souvent des formes explosives. L'approvisionnement en matières actives étant plus difficile, la bouillie cuprique fait encore des miracles! On retrouve des ravageurs familiers comme les acariens, les chenilles, et d'autres qui le sont moins comme les termites ou les cocos (terme local) qui creusent des galeries dans le bois. L'eutypiose est également présente. Rien n'est simple sous les tropiques!' Nous vendangeons deux fois par an et chaque vin de chaque récolte reste individualisé jusqu'à sa commercialisation. Ils ne sont jamais assemblés ', explique-t-on. C'est une question d'organisation commerciale, les délais de mise en marché étant très courts. Le marché vénézuélien absorbe la quasi-totalité de la production. Une société filiale du groupe Polar commercialise l'ensemble à partir de Caracas.Pomar élabore plusieurs types de vins : des primeurs blancs, rouges et rosés fruités, frais et légers (environ 20 F/bouteille); une gamme de vins puissants, structurés et intenses, rouges ou blancs, ils sont élevés quelques mois en barrique de chêne français (environ 60 F); le top est atteint avec une cuvée à base de syrah vieillie trois à cinq ans en fûts. Enfin, pour les vins tranquilles, une Cuvée de l'Amiral (150 F), produite en quantité limitée, a célébré, en 1998, le 500e anniversaire de l'arrivée de Christophe Colomb sur les côtes vénézuéliennes.Les vins effervescents sont élaborés selon la méthode champenoise : bruts et demi-secs blancs (chenin et maccabeu), bruts rosés (assemblages de grenaches). Enfin, pour diversifier la production, on a élaboré un vin léger en alcool et doux additionné de gaz carbonique, le frizzante. A base de muscat et de maccabeu, il connaît un succès auprès des jeunes. Dans un pays comme le Venezuela où l'on consomme majoritairement du rhum, du whisky ou de la bière, la production de vins fins de qualité reste limitée à une élite de connaisseurs. Les séances de dégustation et de découvertes gastronomiques se multiplient dans les grandes villes, signe de la nécessité d'investir dans l'éducation des consommateurs... même si le pays connaît actuellement une crise économique. Sous les tropiques aussi, le vin peut être une affaire sérieuse.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :