Tous les ans, la confrérie de Saint-Etienne remise douze bouteilles de chacun des vins d'Alsace. Son oenothèque vient d'accueillir les plus vieux flacons de la région, issus d'une collection privée.
Ce sont des bouteilles sombres et poussiéreuses. Quelques-unes sont rondes. La plupart sont cachetées à la cire. Beaucoup ont perdu leur étiquette. Toutes ont été élaborées à l'issue de ce que la mémoire vigneronne qualifie de ' bonne année '. La plus ancienne date de 1834, la plus récente de 1937. Elles sont connues dans le vignoble alsacien pour former la collection Méquillet, du nom de la richissime famille de Riquewihr (Haut-Rhin), qui l'a amassée pendant plus d'un siècle.Leur découverte par des ouvriers date des années soixante. Dans la cave murée d'une villa bourgeoise de Colmar, elles étaient 581. La confrérie Saint-Etienne, la principale d'Alsace, en prend possession en 1962. A l'époque, neuf exemplaires sont dégustés, les seuls jusqu'à présent. ' Très bien conservé. Bien harmonieux. A gardé son corset et son ampleur. Goût de bon vin vieux. Madérisation bonifiante ', note la fiche de dégustation d'un tokay pinot gris 1865 remplie alors.Depuis sa réapparition, la collection Méquillet avait été quelque peu oubliée dans une cave du vignoble. A l'aube de l'an 2000, elle refait surface. Seules quelque 200 bouteilles ont résisté à toutes ces années. Elles occuperont une place de choix dans un casier spécial, au milieu et au fond de l'oenothèque de la confrérie, au château de Kientzheim. ' En faisant visiter le lieu, il est important de pouvoir montrer ce patrimoine, modelé au gré d'une partie de l'histoire qu'il a traversée. L'objectif est de garder cette mémoire vivante le plus longtemps possible. Elle doit rester comme témoignage. La confrérie possède une collection de vins à utiliser de façon technique. Sauf occasion exceptionnelle, il n'est donc pas nécessaire de sacrifier ces exemplaires ', affirme Michel Kempf, major des jeunes à la confrérie.La mise en valeur et l'entretien de cette mémoire vinique sont un travail qui mobilise régulièrement le conseil des jeunes. Emanation des trois familles professionnelles, le groupe est fort d'environ 90 membres, dont une quarantaine sont très actifs. Le contrôle et le déménagement de la collection Méquillet ont motivé une séance de travail exceptionnelle.Mais le gros de la tâche, qui vise à donner sa mémoire au vignoble alsacien, se concentre régulièrement entre la mi-février et la fin mars. Durant cette période, les jeunes conseillers se réunissent par roulement pour une séance hebdomadaire pendant laquelle les vins, auxquels la confrérie a décerné un sigille (son label), sont répertoriés, ensachés et logés à l'oenothèque.' L'idée de départ est double : il s'agit de posséder une mémoire de chaque cépage dans chaque millésime, mais aussi de faire une évaluation de la capacité de ces vins à vieillir ', explique Michel Kempf.Le principe veut que douze exemplaires de chaque vin sigillé rejoignent l'oenothèque. Six bouteilles sont destinées à des dégustations techniques. Les six autres sont décrétés ' intouchables '. Actuellement, ce sont 47 000 bouteilles qui dorment en cave. Les plus anciennes datent de 1951. A charge pour elles et les suivantes de continuer à prouver que ' contrairement à l'idée reçue, les grands alsaces sont des vins de garde '. Un message que la collection Méquillet n'a pas attendu pour diffuser.