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Améliorer les levures et maîtriser les bactéries

La vigne - n°101 - juillet 1999 - page 0

Les 10 et 11 juin, des scientifiques se sont réunis à Bordeaux et ont fait le point sur les travaux d'amélioration des levures. Ils ont également insisté sur les dégradations dont sont capables les bactéries lorsque l'abaissement des niveaux de sulfitage leur laisse le champ libre.

Une fois de plus, il fut question de manipulation génétique. Il ne se passe pas un congrès scientifique sans que le sujet ne soit abordé. Le symposium organisé par la faculté d'oenologie de Bordeaux n'y a pas échappé. Hennie Van Vuuren, un chercheur originaire d'Afrique du Sud installé au Canada, a présenté ses levures malolactiques et maloalcooliques. Les premières dégradent l'acide malique en acide lactique, comme le font les bactéries. Les secondes transforment l'acide malique en alcool. Contrairement aux manipulations effectuées sur les plantes, ces levures ont été transformées sans l'ajout d'un gène de résistance aux antibiotiques. ' D'ici quelques mois, nous espérons faire des essais de fermentation ', nous a confié Hennie Van Vuuren.D'autres équipes, notamment françaises, explorent ces voies. Plus originale est la transformation des levures dans le but d'obtenir qu'elles libèrent un antiseptique. Des Sud-Africains de l'université de Stellenbosch y travaillent. Ils sont allés prendre un gène chez une bactérie lactique pour l'introduire dans des levures. Par ce biais, ils espèrent stabiliser les vins avec des doses réduites de SO2. La même équipe a transformé des souches afin qu'elles produisent davantage d'esters volatiles. Il s'agit de composés aromatiques naturellement produits par les levures au cours des fermentations. Le plus connu d'entre eux est l'acétate d'isoamyle qui rappelle la banane.L'équipe scientifique, dirigée par Ian Pretorius, a obtenu deux à dix fois plus d'arômes de cette famille. Mais comme le faisait remarquer Denis Dubourdieu, de la faculté d'oenologie de Bordeaux, elle a également renforcé l'aptitude des levures à libérer de l'acétate d'éthyle. Or, cette substance procure des sensations brûlantes et asséchantes en fin de dégustation. Des chercheurs français de l'Inra de Montpellier ont, eux aussi, dû faire face à une conséquence inattendue d'une de leurs manipulations. Ils voulaient obtenir des souches hyperproductrices de glycérol. Ils y sont parvenus. Mais ces souches ont également libéré d'abondantes quantités d'acide acétique. Il a fallu une seconde intervention génétique pour y remédier. Elle a consisté à limiter l'expression d'un gène intervenant dans la libération de cet acide.La faculté d'oenologie de Bordeaux explore des voies plus classiques d'amélioration. Elle croise des Saccharomyces cerevisiae avec des Saccharomyces bayanus. Il s'agit de deux espèces différentes (lire La Vigne n° 57). A la première appartiennent la quasi-totalité des levures sèches actives. Certaines d'entre elles sont aujourd'hui encore désignées sous le nom de bayanus mais il s'agit d'une erreur au regard des critères modernes de la classification des espèces. Les Saccharomyces bayanus sont cryophiles : elles fermentent à des températures inférieures à 15°C. Elles ont la propriété de révéler les arômes du sauvignon et le défaut d'aplanir les différences entre les vins du fait qu'elles libèrent d'abondantes quantités de phényl- 2-éthanol, une substance qui rappelle la rose. Par croisement entre les deux espèces de Saccharomyces, Isabelle Masneuf de la faculté espère conserver la première des propriétés de Saccharomyces bayanus et atténuer, voire supprimer la seconde. Les premiers hybrides qu'elle a obtenus s'avèrent conformes à ces exigences. Ils pourraient déboucher sur la mise en vente d'une nouvelle souche révélatrice de l'arôme du sauvignon.D'autres recherches portent sur le dénombrement des levures. Moët et Chandon et l'Ecole nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires de Massy (Ensia) s'y attellent. Ils utilisent la cytométrie en flux. Cette technologie consiste à rendre les microrganismes fluorescents afin qu'ils soient automatiquement comptés lorsqu'ils passent devant un détecteur. Elle s'applique aux levures, aux bactéries et aux spores de botrytis. Elle décèle les premières dès qu'elles sont plus de 1 000/ml de moût. Il faut 10-15 min pour obtenir les résultats d'une mesure.Moët et Chandon utilise cette technique pour juger de la qualité des moûts qui lui sont livrés. Lorsque la population levurienne approche le million d'individus par ml de jus, la maison de négoce sait que le départ en fermentation est imminent. Elle n'aura pas le temps de débourber le lot. Il est alors détourné vers une cuve où sont réunies toutes les livraisons chargées en levures. La cytométrie en flux sert également à évaluer la réussite de la réactivation d'un levain bactérien. A l'avenir, elle pourrait indiquer le risque d'un départ prématuré de la malo par le dénombrement des bactéries en cours de fermentation alcoolique.Du fait de l'allègement du sulfitage et de la baisse de l'acidité des moûts et des vins, ces germes prolifèrent. Plusieurs communications ont insisté sur les déviations qu'ils provoquent, incitant les vinificateurs à la prudence. Des Sud-Africains de l'université de Stellenbosch ont rappelé que les bactéries acétiques peuvent contaminer les moûts peu sulfités et s'y développer. En début de fermentation alcoolique, ils ont décelé des Gluconobacter. En fin de fermentation, les cuves sont davantage contaminées par des Acetobacter. Et les uns comme les autres libèrent, outre l'acide acétique, des composés qui inhibent les levures et compliquent l'achèvement des fermentations.Des Argentins de l'université de Tucuman ont isolé une bactérie (Pediocuccus pentosaceus), dont certaines souches consomment le glycérol, libérant de l'éthanol, de l'acide lactique et de l'acétate d'éthyle. Cela n'avait pas encore été signalé. La voie de dégradation du glycérol que l'on connaissait jusqu'alors conduit à la maladie de l'amertume, fréquente autrefois, mais rare de nos jours. Celle signalée par les Argentins est plus discrète dans les modifications qu'elle entraîne. Touche-t-elle des vins français? Il semble que non, mais plusieurs oenologues restent prudents dans leur réponse.Les bactéries polluent également les vins en y larguant des amines biogènes, substances soupçonnées de provoquer des réactions allergiques. L'histamine est la plus connue d'entre elles. La tyramine en est une autre que certaines souches de Lactobacillus brevis libèrent, selon une étude présentée par la faculté d'oenologie de Bordeaux. Ce germe prolifère dans les vins de pH élevé où l'activité du SO2 est faible. Dans les vins de liqueur (pineau des Charentes) et les vins doux naturels, c'est Lactobacillus hilgardii qui provoque d'anormales montées d'acidité volatile. Pour détecter cette bactérie, la faculté a mis au point un test génétique. Mais il n'est pas disponible pour les analyses de routine.Revenons-en aux levures! Lallemand et l'Inra de Montpellier ont évalué leurs besoins en azote assimilable et en oxygène. Leurs résultats étaient insoupçonnés et ont d'évidentes conséquences pratiques. Ils font part d'écarts allant du simple au double au sein de l'ensemble des souches étudiées, toutes multipliées par Lallemand. Certaines de ces souches sont ainsi plus à l'aise que d'autres dans les moûts que l'on n'aère pas en cours de fermentation. Cependant, si elles exigent peu d'oxygène, il n'en est pas obligatoirement de même de l'azote. Une levure peut être économe de l'un des nutriments et gourmande de l'autre. Parmi les levures exigeantes en azote se range la BM 45 (Lalvin BM 45). A l'opposé, la QA 23 (Lalvin QA 23) exprime de faibles besoins.Ces résultats, dont le détail reste malheureusement confidentiel, aideront à choisir les souches et les interventions oenologiques les plus propices au parfait achèvement de la fermentation d'un moût donné.

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