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Une technique rodée sur les blancs, à l'essai sur les rouges

La vigne - n°102 - septembre 1999 - page 0

Les conditions de la réussite de l'élevage sur lies sont bien établies pour les blancs, mais pas pour les rouges. Dans leur cas, les pratiques sont très diverses.

Pour les blancs, les règles sont claires. Dès lors que l'on prévoit de les élever sur lies, il faut tout mettre en oeuvre pour éviter qu'ils réduisent. Cela revient à sulfiter modérément les jus et à les débourber soigneusement. Concrètement, il faut éviter d'employer plus de 5 g/hl de SO2. Quant à la turbidité, elle ne doit pas dépasser 150 à 200 NTU. Il faut aussi s'assurer que le moût est bien pourvu en azote car les levures réagissent aux carences en cet élément en produisant des goûts de réduit.La fermentation achevée, l'élevage démarre. Les interventions au cours de cette période dépendent étroitement du cépage et de la cuverie. 'Le sauvignon, il faut attendre au moins une semaine avant de le sulfiter. Sinon, les vins réduisent, remarque Denis Rollandeau, un négociant installé à Tillières dans le vignoble nantais. Avec le muscadet, nous n'avons pas ces problèmes. Nous pouvons le sulfiter un jour après la fin de la fermentation.'Avec l'expérience, bien des vignerons s'aperçoivent qu'ils peuvent retarder le sulfitage, à condition de prendre d'élémentaires précautions. Une hygiène rigoureuse doit être appliquée dès la récolte. La température des vins doit être abaissée et maintenue en dessous de 15°C dès la fin de la fermentation. Alors, les risques bactériens sont faibles. La fermentation malolactique a peu de chances de démarrer, même en l'absence de protection. Seul un pH élevé peut la favoriser.Le SO2 remplit une seconde fonction. Il préserve les vins de l'oxydation. Mais les lies et le gaz carbonique présents dans les cuves le remplacent efficacement. Ainsi, on peut faire en sorte que ni le blocage de la malo, ni la protection contre l'oxydation n'imposent un sulfitage précoce qui est source de réduction et donc d'élimination des lies.Fort des précautions qu'il a prises, Jean-Claude Fontan, à Noulens (Gers), attend jusqu'à la mi-décembre. C'est alors qu'il prépare, puis embouteille ses vins de pays des côtes de Gascogne secs, assemblages de colombard, d'ugni blanc, de gros manseng et de sauvignon. C'est alors qu'il les sulfite pour la première fois. Jusqu'à ce moment, il n'a utilisé que 4 à 5 g/hl de SO2 sur les moûts. Pourtant, il a soutiré ses vins dès la fin de la fermentation alcoolique. Lors de ce transfert, il les a protégés en remplissant les cuves et les tuyaux de gaz carbonique.Jean-Claude Fontan soutire sur les conseils de son oenologue selon lequel il évite ainsi que ses vins deviennent trop lourds. Il élimine 3 à 4 hl de lies de ses cuves de 300 hl. A l'ITV de Nantes, Frédéric Charrier signale que cette intervention limite les goûts de réduit. Il a remarqué la fragilité des vins de quelques terroirs. Tous les ans, de mauvais goûts s'y déclarent. 'Une semaine après la fin de la fermentation, on ouvre le robinet du bas, explique-t-il. On recueille tout ce qui coule. Ce qui reste collé, on l'élimine. Après, les vins restent nets.'Une autre cause de réduction tient à la forme de la cuverie et aux matériaux employés. Les vins logés dans la fibre de verre sont souvent plus francs que dans l'Inox. Les cuves en Inox de haute taille cumulent tous les handicaps. Les vins réduisent aussitôt que leurs lies s'y déposent. En 1996, la faculté d'oenologie de Bordeaux apportait une explication à ce phénomène. Elle révélait que les levures produisent d'autant plus de composés malodorants qu'elles sont soumises à une forte pression. Heureusement, elles perdent ce travers après quelques semaines. Partant de cette observation, la faculté conseille de séparer temporairement les lies des vins et de les loger dans des récipients de petite taille avant de les réincorporer.Malgré son intérêt, cette technique semble connaître un faible développement. Elle est contraignante. De ce fait, on recherche d'autres solutions, dont la plus simple est de réserver les cuves les plus basses aux vins que l'on prévoit de garder sur lies. L'apport d'oxygène est également à l'essai, avec des résultats contradictoires. La technique est délicate car on court le risque d'oxyder les vins : les blancs n'ont pas de polyphénols pour les protéger. Les rouges si. Avec eux, le dosage est moins délicat. De ce fait, le microbullage d'oxygène leur réussit mieux. Dans le Sud-Ouest, il est presque toujours associé à leur maintien sur lies. Il contrecarre l'apparition de goûts de réduit.Au château Chainchon, à Castillon-la-Bataille, Patrick Erésué élève son premier vin en barriques, le second en cuves de 200 hl. Les cuvaisons durent vingt-cinq à trente jours. Dès la fin de la fermentation, il apporte de l'oxygène par microbullage. Au moment de l'écoulage, il garde les grosses lies. 'Ce qui est collé au fond de la cuve ainsi que les bourbes trop chargées en pépins, je les laisse.'Par la suite, il travaille différemment ses vins selon qu'ils sont logés en cuves ou en barriques. Les premiers sont dégazés dès la malo terminée afin que 'le CO2 n'empêche pas les lies de précipiter'. Ils ne sont brassés qu'à l'occasion de ces injections d'azote, car la remise en suspension des lies entraîne des pertes de couleur. Les vins en barriques, plus charpentés, sont bâtonnés fréquemment. Patrick Erésué les élève pendant un an sans soutirage alors qu'il soutire ses cuves en février ou en mars. Dans les deux contenants, il surveille l'apparition de goûts de réduit et y remédie par des injections d'oxygène. Il limite ces apports au strict nécessaire. 'Je préfère que les vins soient proches de la réduction plutôt que de l'ouverture pour préserver leurs arômes.'Stéphane Apelbaum, du château Quercy dans l'appellation Saint-Emilion, travaille un peu différemment. Il conserve moins de lies que son confrère : il écoule ses vins par le robinet du haut et non celui du bas. Il les entonne directement. Lui aussi maîtrise la réduction par des apports d'oxygène. Mais il ne sulfite pas dès que les malos sont achevées. Il retarde au maximum cette échéance tout en s'assurant, par la dégustation et de fréquentes mesures de l'acidité volatile, de l'absence de dérive. 'Quand les lies virent un peu', il soutire et sulfite. Nous sommes alors en hiver. Stéphane Apelbaum lave ses barriques. Il récupère les lies et les brasse 'jusqu'à qu'elles soient nettes'. Par la suite, il s'en sert pour ouiller ses barriques.Les producteurs de Plaimont (Gers) n'utilisent pas l'oxygène pour éviter les mauvais goûts. Ils injectent ce gaz durant la première phase de l'élevage en cuves. Lies et vins sont alors séparés. 'Quand les vins ont assez évolué, nous rajoutons les lies pour travailler le gras, explique Philippe Cazaux, l'oenologue du groupement. Si elles ont été tenues à l'écart suffisamment longtemps, elles n'entraînent plus de réduction.'En Bourgogne, les pratiques sont encore différentes. Rares sont ceux qui se servent de l'oxygène. Pourtant, les goûts de réduits ne sont pas inconnus. Gaston Ravaut ne s'en inquiète pas outre mesure. Ils lui semblent indissociables de l'élevage sur lies. 'En 1985, nous avons traversé une période où lorsqu'on ouvrait une pièce, cela sentait dans toute la cave, se souvient ce vigneron de Ladoix-Serrigny. Par la suite, tout est parti. 85 est un très grand millésime.'A un degré moindre, de tels phénomènes se reproduisent tous les ans. Mais notre vigneron n'intervient pas. Tant que seule l'odeur de ses vins en est affectée, mais que leur goût reste franc, il patiente : l'odeur finit par redevenir nette. Exceptionnellement, il fut contraint de soutirer quelques pièces car leurs vins et leurs lies avaient un goût trop prononcé. Ces ennuis mis à part, il attend toujours que les fermentations malolactiques soient achevées pour le faire. Cela se produit au mieux au début du printemps. A partir de ce moment, il met au propre ses bourgognes génériques, élevés en cuves de petite taille (inférieure à 70 hl). Quant aux villages et aux crus, il les réentonne avec leurs lies fines après avoir lavé les fûts.Dans ces pièces, les vins de coule sont assemblés aux vins de presse. Comme la plupart des Bourguignons, Gaston Ravaut ne bâtonne pas ses pinots noirs. Là encore, ces pratiques se distinguent de celles du Sud-Ouest où l'on bâtonne les rouges en fûts et où il est fréquent de séparer vins de coule et vins de presse afin d'élever ces derniers avec des soutirages à l'air.Au-delà de leur diversité, ces façons de faire obéissent à des principes généraux. Il faut être soigneux et propre. Il faut surveiller de près ses vins en les dégustant fréquemment, en mesurant régulièrement leur acidité volatile et leur teneur en SO2 libre. Enfin, il faut savoir garder son sang-froid car de légères déviations paraissent inévitables. A ces conditions, l'élevage sur lies n'a rien d'insurmontable, au contraire : il va de soi.

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