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Le chardonnay est un métis

La vigne - n°103 - octobre 1999 - page 0

L'étude du patrimoine génétique de trois cents cépages a montré que le gouais, variété oubliée, était avec le pinot, le géniteur du chardonnay et de quinze autres cépages.

L'étude du patrimoine génétique des vignes avait déjà montré que le cabernet sauvignon était issu d'un croisement entre cabernet franc et sauvignon, que le müller-thurgau avait pour père le chasselas de Courtiller, et non le sylvaner, comme le croyait son sélectionneur. Aujourd'hui, elle sort de l'ombre le gouais. Ce cépage oublié et peu qualitatif a donné naissance, à la suite de croisements avec le pinot, à au moins seize cépages, parmi lesquels se trouve le chardonnay.Ces résultats ont été obtenus par une équipe franco-américaine réunissant des chercheurs de l'université de Californie à Davis et de l'Inra de Montpellier (Patrice This et Jean-Michel Boursiquot). Elle a été possible grâce à l'existence d'une des plus importantes collections viticoles, installée au domaine de Vassal, près de Montpellier, entretenue par l'Inra.Les chercheurs ont étudié l'ADN de trois cents cépages pour parvenir à ce résultat. Un chromosome est constitué de deux brins d'ADN qui renferment le patrimoine génétique de la vigne. La moitié des chromosomes vient du père, l'autre de la mère. Sur cet ADN, les chercheurs ont étudié trente-deux sites spécifiques (microsatellites). Chacun portent des allèles, c'est-à-dire des formes variables d'un même gène situées au même niveau sur chaque membre d'une paire de chromosomes. Lorsque deux cépages ont au moins un allèle en commun sur chacun des sites étudiés, on peut en conclure qu'ils ont un lien de parenté, sans plus.Les chercheurs ont ainsi trouvé que la roussanne et la marsanne appartenaient à la même famille, que le gewurztraminer et le pinot étaient eux aussi liés génétiquement, 'mais on ne sait pas s'ils sont frères ou s'ils descendent l'un de l'autre', précise Jean-Michel Boursiquot, à l'Inra de Montpellier. Trouver les parents parmi les cépages liés génétiquement n'est pas facile. Il faut dénicher les deux cépages qui, pour chaque site, ont chacun un allèle en commun avec les autres variétés. Sur les trente-deux locus (sites) des seize cépages distingués, un allèle vient du gouais, l'autre du pinot.Les chercheurs ont été surpris par ce chiffre. Seize cépages issus de croisements entre le gouais et le pinot! Outre le chardonnay, les descendants se nomment gamay noir, gamay blanc Gloriod, aligoté, melon, romorantin, aubin vert, auxerrois, bachet noir, beaunoir, dameron, franc noir de la Haute-Saône, knipperlé, peurion, roublot et sacy. 'On ne pensait pas que le semis avait donné autant de cépages différents', ajoute Jean-Michel Boursiquot. Ces enfants ne sont pas nés d'un seul croisement, mais de plusieurs, obtenus naturellement dans les régions où ces cépages cohabitaient. On ne sait pas toujours quelle était la couleur du pinot à l'origine de ces hybridations. Les pinots noir, gris, blanc ou meunier sont des mutants de la même variété. Le pinot fin teinturier a un allèle qui le différencie des autres. C'est ce qui laisserait penser qu'il est l'un des parents du romorantin. La seule certitude, c'est que le pinot noir est le père (ou la mère) des quatre cépages à baies noires : le bachet noir, le beaunoir, le franc noir, le gamay noir.Pour les autres, on sait seulement qu'un pinot est à l'origine de leur naissance, sans pouvoir distinguer lequel. On ne sait pas non plus qui, du gouais ou du pinot, a joué le rôle de la mère. Cette distinction n'a rien d'anodin. 'Nous travaillons à développer des marqueurs de la mère, explique Jean-Michel Boursiquot. La mère peut jouer un rôle particulier car elle transmet aux enfants ses mitochondries et ses chloroplastes. Mais on ne connaît pas encore l'incidence de cette transmission.'Ces résultats montrent que tout cépage a un intérêt, même si le vin qu'il produit n'est pas de qualité. La preuve : le gouais a donné naissance, par hybridation, à des variétés de renommée internationale. 'Désormais, dans les essais, nous croiserons les cépages les plus éloignés génétiquement', poursuit Jean-Michel Boursi- quot. Les consanguinités ont des effets dépressifs, et l'on sait aujourd'hui qu'il n'est pas intéressant de croiser un chardonnay avec un pinot.'Le gouais est originaire de Dalmatie, une région de la Croatie. Nous avons montré que le gouais était en fait l'heunisch, dont l'origine est attribuée à cette région, continue Jean-Michel Boursiquot. Des bois ont été apportés en France, sans doute au début de l'ère chrétienne. Dans ces sarments était conservé le génotype du cépage. Puis les croisements entre le gouais et le pinot ont donné naissance à de nouveaux cépages.' Quand sont-ils apparus? Difficile à dire. Les traces de présence de chardonnay, gamay noir et melon remontent au début du Moyen-Âge. Entre le XVIe et le XIXe siècle, la littérature mentionne l'existence des autres cépages.Les résultats de cette étude franco-américaine soulignent l'intérêt des travaux sur l'hybridation des cépages. Désormais, la nature ne peut plus opérer le brassage génétique qui a donné naissance à des variétés prestigieuses. Si un pépin issu d'un croisement entre deux cépages vient à germer, le phylloxéra ne permettra pas à la jeune vigne d'exprimer ses potentialités. Et il n'y a plus la même diversité d'encépagement. L'homme doit donc se substituer à la nature. Depuis le XIXe siècle, il tente de croiser des variétés pour obtenir ce que l'on a appelé des métis. Mais la législation actuelle et certaines réticences face à ces nouvelles obtentions freinent leur développement. On sait aujourd'hui que des 'métissages' sont à l'origine du chardonnay et du cabernet sauvignon. Il serait donc judicieux de porter un nouveau regard sur ces métis.

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