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Consommation, on boit moins mais mieux

La vigne - n°104 - novembre 1999 - page 0

En un siècle, le vin a complètement changé de statut, passant de 'vin aliment' à 'vin plaisir'. La chute des volumes consommés en France a été compensée par une meilleure valorisation de la bouteille.

Boire à la française, selon Montaigne, c'est boire 'à deux repas, modérément, en crainte de sa santé' et en gourmet, ce que l'auteur des Essais oppose à la manière allemande. Plus que jamais l'expression est d'actualité. Comme le montrent les récentes études Inra-Onivins sur la consommation de vin en France : les buveurs occasionnels sont aujourd'hui majoritaires parmi les consommateurs de vin. La baisse de la demande affecte exclusivement les vins de table et 90% des vins bus en France le sont au cours d'un repas. Est-ce à dire que la 'boisson nationale' a toujours été consommée de la même façon? Certainement pas. Au cours du dernier siècle, la consommation de vin a beaucoup fluctué, entraînant une modification du statut même de la boisson. 'Hier, on 'mangeait' du vin ; aujourd'hui, on le boit entre amis. Le passage du 'vin aliment', boisson quotidienne, au 'vin agrément', boisson circonstancielle, est un phénomène de civilisation', écrit Jean-François Gautier, auteur d'une 'Histoire du vin'.Selon les historiens, la consommation individuelle de vin s'est élevée de 187%, entre 1830 et 1910. Ce chiffre doit être rapproché de celui de l'évolution du revenu national, qui a augmenté dans les mêmes proportions. Parce qu'ils sont plus riches, les Français d'alors produisent et consomment plus. La tendance est aussi à la hausse des achats de blé et de sucre. Sur cette période, le vin bénéficie du statut de boisson 'la plus saine et la plus hygiénique' mis en évidence par Louis Pasteur. A cette époque, il est vrai qu'il valait mieux boire du vin que de l'eau, qui était très souvent polluée. En 1901, on peut lire dans 'Le Progrès agricole et viticole', la lettre d'un docteur encourageant la consommation de vin, 'seul moyen d'enrayer le fléau de l'alcoolisme car, explique-t-il, l'ouvrier qui travaille a besoin d'un stimulant pour soutenir ses forces et son énergie morale. S'il ne boit pas de vin, il boira de l'alcool. On ne l'a que trop vu pendant la crise phylloxérique où la rareté du vin naturel a plus que doublé la consommation d'absinthe'.La consommation individuelle de vin par tête atteint son apogée en 1914-1918. Alexandre Millerand, ministre de la Guerre, fait distribuer un demi-litre de vin par jour aux poilus de 1916. Le vin devient un personnage mythique au travers d'une chanson à boire 'Vive le pinard'. Comme le note Jean-François Gautier : 'Le maréchal Pétain n'a pas craint d'écrire que le vin a largement concouru, à sa manière, à la victoire.'Parallèlement à cette hausse de la consommation, la lutte contre l'alcoolisme s'organise. La loi du 1er octobre 1917 sur la répression de l'ivresse publique aggrave les peines des débitants de boissons trop tolérants et relève la majorité alcoolique de 16 ans à 18 ans. Outre-Atlantique, le Congrès américain adopte la Prohibition, qui dure jusqu'en 1933. Selon des historiens, la Seconde Guerre mondiale permet à beaucoup de soldats américains stationnés en Europe de prendre goût au vin, ce qui facilite son essor vers les Etats-Unis après 1939-1945.La consommation de vin dans le monde croît depuis l'après-guerre jusqu'au milieu de la décennie 70, puis régresse à partir des années 80 pour se situer aujourd'hui au niveau de celle de 1960. En France, la consommation moyenne par tête marque une régression depuis la fin de la décennie 50. D'abord compensée par la croissance démographique, cette baisse a des répercussions depuis le milieu des années 70. Malgré cela, le marché français reste le premier dans le monde en volume et en valeur et la demande intérieure demeure le principal débouché de la production viticole, en dépit d'une hausse constante des exportations françaises de vin.Selon la dernière enquête de l'Inra-Onivins, la consommation individuelle moyenne (y compris l'évaluation de l'autoconsommation) de la population, considérée en âge de consommer (15 ans et plus), s'est progressivement réduite de moitié en trois décennies, passant de 160 l/an en 1965 à 80 l/an en 1994.D'après les statistiques de l'administration des Douanes, cette consommation par personne atteint 75 l/an sur la campagne 1996-1997. Entre 1970 et 1994, la quantité de vin consommée passe de 54,8 millions d'hectolitres (Mhl) à 36,5 Mhl, soit une baisse d'un tiers. Sur cette période, la consommation de vins d'appellation a quasiment doublé, passant de 7,8 Mhl à 15,4 Mhl, tandis que celle de vins de table ou de pays a chuté de plus de moitié (47 Mhl à 21 Mhl). D'après une étude intitulée 'L'alcool à chiffres ouverts', réalisée sous la direction du professeur Got, l'usage de spiritueux a considérablement progressé pendant ces années, passant de 1,64 l d'AP/an/hab. en 1970 à 2,12 l en 1994. Seules les eaux-de-vie à AOC (armagnac et cognac) n'ont pas bénéficié de cette évolution.Quant à la consommation de bière, elle est restée stable entre 1970 et 1994.En moins de trois décennies, le modèle français de consommation de vin a subi de profondes transformations. L'eau en bouteille est devenue la boisson principale d'accompagnement des repas. Les moins de 20 ans sont en majorité non-consommateurs de vin, les plus de 50 ans constituent la majorité des plus grands consommateurs. Parallèlement à ces tendances lourdes, peu favorables au vin, on constate une rupture dans les années 90 qui pourrait annoncer une relance de la consommation. Le paradoxe français accrédite l'idée de l'effet bénéfique d'une consommation modérée et régulière de vin sur la prévention des risques cardio-vasculaires.Par ailleurs, une étude de l'Inserm laisse penser que le vin aurait un rôle protecteur vis-à-vis de la maladie d'Alzheimer. Autant d'éléments qui donnent envie de suivre l'exemple des producteurs américains qui ont obtenu le droit d'apposer sur leurs bouteilles une étiquette faisant indirectement référence aux bienfaits du vin pour la santé.

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