Retour

imprimer l'article Imprimer

archiveXML - 1999

Autour de 1900 : phylloxera et surproduction

La vigne - n°104 - novembre 1999 - page 0

Entre la fin du XIXe siècle et les premières années du XXe siècle, la viticulture française a connu la période la plus chamboulée de son histoire. Voici un état des lieux avant d'analyser les principales évolutions du siècle

Depuis le Moyen-Âge, le vignoble français ne cesse de se développer et demeure le plus grand du monde. A la veille de la Révolution, il s'étend sur 1,576 million d'hectares (Mha) pour une production moyenne d'à peine 30 millions d'hectolitres (Mhl), dans une France qui compte moins de 30 millions d'habitants. Au cours du XIXe siècle, libéré de la plupart des prélèvements fiscaux qui freinaient le commerce au temps de la monarchie absolue, le vin est de plus en plus consommé dans les couches populaires. Peu concurrencé par la bière et le cidre, il figure sur toutes les tables, y compris celles des établissements scolaires. Peu regardants sur la qualité, les consommateurs au budget modeste assurent l'écoulement de la production de plus en plus massive de certains départements du Midi, surtout lorsque le chemin de fer ne grève plus le prix de vente dans les grandes villes. A la campagne, chaque petit paysan a sa vigne. Seuls les grands domaines peuvent se spécialiser dans la monoculture. Le classement des grands bordeaux, en 1855, consacre cette distinction entre grands crus et vins courants. Cette prospérité explique un développement continuel du vignoble : en 1874, il atteint 2,465 Mha (872 000 ha aujourd'hui). Les deux Charentes totalisent 260 000 ha, l'Hérault atteint plus de 190 000 ha et l'Ile-de-France dépasse les 20 000 ha. En 1875, année de tous les records, la France produit 84,5 Mhl, un chiffre qui n'a jamais été atteint depuis. Hélas, c'est également l'époque de l'augmentation massive de l'alcoolisme dans la population. Lorsque le vignoble français culmine, il est aussi proche de sa perte. Dès 1863, une tache phylloxérique apparaît dans le Gard, à Pujaut. En 1869, l'insecte est repéré dans deux vignobles de Gironde. On ne fait guère attention à ces premières attaques localisées. Vingt ans plus tôt, une maladie a pris rapidement des proportions autrement importantes.En quelques années, l'oïdium, attaque cryptogamique jusqu'alors inconnue, a affecté le vignoble français. La production s'effondre pour atteindre le creux absolu en 1854 : 11 Mhl. On croit le vignoble perdu, mais la parade est vite trouvée avec le soufrage. Pourquoi le phylloxera? Certains propriétaires du Midi ont planté à partir des années trente, à titre d'expérience, des cépages américains et ont introduit, sans le savoir, le puceron dévastateur, le 'Phylloxera vastatrix'. En moins de trente ans, il colonise tout l'Hexagone. Aucun moyen massif de lutte n'est connu. Déconcertés, les vignerons arrachent les parcelles atteintes et replantent sans succès. Si les moyens chimiques, très coûteux, parviennent à retarder le mal dans les meilleurs vignobles, si la submersion et les sables littoraux conduisent à l'asphyxie du puceron, un seul remède s'impose : l'arrachage et le brûlage des souches. Dans un premier temps, on replante des vignes américaines qui résistent à l'insecte, mais le vin est mauvais. Après des voyages aux Etats-Unis, des chercheurs trouvent la solution en rapportant des cépages résistants qu'il faut expérimenter en fonction des sols. Quand des porte-greffes adaptés sont obtenus, on peut alors greffer des cépages français et maintenir une production de qualité.En 1900, le travail d'arrachage et de reconstitution est presque achevé. Il a coûté plus de 5 milliards de francs-or, autant que l'indemnité de guerre réclamée par Bismarck en 1871. Les vignerons ont assumé cette charge ; en même temps, ils ont dû lutter contre de nouvelles maladies, le mildiou principalement, en utilisant les bouillies cupriques. Le résultat, c'est d'abord la baisse considérable de la production de vin : de 1879 à 1892, aucune année n'a dépassé les 36 Mhl. Pour pallier ce manque, vignerons et négociants ont fabriqué des vins de raisins secs et des vins de sucre. Ensuite, il a fallu abandonner les positions trop avancées du vignoble. Aux alentours de 1900, il ne dépasse pas 1,7 Mha qui peuvent produire annuellement 60 à 70 Mhl de vin. Un moment menacé d'extinction, le vignoble français a donc retrouvé sa vitalité, sinon sa qualité, au début du XXe siècle. Mais les données ont changé. Tous les vignerons se sont endettés et assument de lourdes charges car les traitements nécessaires à la vigne sont coûteux. Or, la concurrence facile des vins 'fabriqués' ne s'arrête pas. De plus, la colonisation a développé le vignoble algérien (8 Mhl en 1904!), des vins hauts en degrés qui se prêtent aux coupages. Du coup, le vin s'écoule difficilement, surtout dans le Midi. De plus, les besoins ont baissé depuis vingt-cinq ans car l'alcool de betterave a pris le relais de l'alcool de vin, plus cher.Aussi le prix du vin baisse-t-il rapidement. Les tensions sociales se font plus vives dans le Midi, alors région de monoculture où les hybrides tiennent une grande place. Bientôt, c'est la mévente, l'endettement accru, la misère. C'est l'époque où Marcelin Albert, simple cafetier vigneron de l'Aude, prend la tête du mouvement revendicatif et fédère des centaines de milliers de producteurs qui protestent tout à la fois contre la fraude, la part belle faite aux betteraviers et le négoce qui asphyxie les petits producteurs. La revendication culmine en 1907 sous la forme de manifestations. Le 20 juin, à Narbonne, l'armée tire sur la foule, faisant cinq morts.Ces manifestations aboutissent à la loi du 29 juin 1907 : elle instaure la déclaration de récolte et celle des stocks, dans le but notamment de débusquer les fraudeurs (le service de la répression des fraudes est créé le 3 septembre 1907). Les esprits se calment alors, mais les causes profondes du mal ne sont pas traitées car la surproduction des vins de masse demeure.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :