Que ce soit pour l'appréciation des vins d'appellation ou de l'incidence de techniques culturales, la dégustation ne s'est imposée qu'à partir des années 70.
On pourrait penser que la dégustation a toujours tenu un rôle prépondérant dans l'appréciation des vins. Jacques Blouin, l'ancien chef du service vin de la chambre d'agriculture de Bordeaux, dément : 'Il y a trente ans, le souci d'un chef de cave était d'avoir, avant Noël, ses lots de 10, 11 et 12% vol. Aujourd'hui, on ne trie plus sur le degré mais sur les résultats de dégustation. Toutes les caves ont leur comité.' Cette évolution s'est faite en réponse à une demande du marché, qui s'est orienté vers les vins de qualité tout en se détournant de ceux de consommation courante. Les premiers doivent apporter du plaisir. Or, de simples résultats d'analyse chimique ne permettent pas d'en préjuger.Les chercheurs ne se sont intéressés qu'assez récemment au sujet. 'Le premier écrit scientifique traitant de la dégustation, L'analyse et le contrôle des vins, de Jean Ribéreau-Gayon, est paru en 1947', souligne Philippe Darriet, de la faculté d'oenologie de Bordeaux. Longtemps, les résultats des expérimentations agronomiques furent jugés à la simple lecture des paramètres de la maturité des raisins. 'Jusqu'aux années 75 à 80, les règles de fertilisation étaient déterminées uniquement au vu de leur impact sur le poids des bois de taille, le degré à la récolte, l'acidité et le pH des moûts, affirme Alain Carbonneau, de l'Ecole nationale supérieure d'agronomie de Montpellier. A cette époque, je fus le premier à dire que l'on ne pouvait juger les systèmes de conduite qu'en fonction de résultats d'analyse sensorielle.'Les sélectionneurs avaient pris conscience plus tôt de la nécessité des dégustations. En Alsace, en Bourgogne et dans le Bordelais, dès les années 60, lorsqu'ils se mirent à évaluer les clones, ils vinifièrent leurs récoltes. Ce fut à cette époque et dans ce but que les techniques de micro et de minivification furent mises au point.Même les appellations n'ont pas fait preuve d'une grande rapidité à l'égard des dégustations d'agrément. Bien que l'AOC fut instituée par une loi de 1935, la dégustation d'agrément n'est imposée et généralisée, par voie réglementaire, qu'en 1974. Cependant, sans attendre l'intervention du législateur, des syndicats l'avaient déjà mise en place. Un ouvrage édité par l'Inao (Une réussite française : l'appellation d'origine contrôlée) indique qu'elle est entrée en vigueur en 1946 pour le pineau des Charentes, à Lirac en 1947, en 1951 pour le bordeaux clairet et en 1953 pour l'entre-deux-mers.La préoccupation première des appellations n'était pas le respect de la typicité, mais la lutte contre les fraudes. Au cours des premières décennies du siècle, il fallait mettre fin aux pratiques qui consistaient à utiliser abusivement des origines prestigieuses pour dénommer des vins de provenances banales, voire inconnues. La dégustation mit du temps à entrer dans les moeurs pour d'autres raisons. Elle était soupçonnée de la subjectivité et de la partialité alors que les résultats d'analyse chimique étaient d'une objectivité incontestable. On redoutait que les jurés ne se prononcent qu'en faveur de leurs goûts propres, qu'ils déclassent les vins qu'ils n'aimaient pas, sans pour autant qu'ils aient de défauts ou ne soient pas représentatifs de leur appellation. Cet obstacle fut aplani avec les fiches de dégustation qui obligèrent les jurés à préciser leur jugement.Une autre difficulté vient de la nature même de l'exercice. Dès lors que l'on ne veut pas se contenter de dire si un vin est bon ou non, il faut le décrire. Or, à moins d'y être habitué, il n'est pas aisé d'exprimer des sensations gustatives.Il faut disposer d'un vocabulaire adéquat et précis, c'est-à-dire qui désigne une réalité perceptible par d'autres. Seul un travail spécifique a permis de le dégager. 'Auparavant, la dégustation s'appuyait sur les approches développées par la sommellerie, analyse Maurice Chassin, de l'institut de dégustation de Tours, qui forme des vignerons dans plusieurs régions de France. Ce sont des approches lyriques, riches en mots qui ne sont pas forcément précis. Elles sont intéressantes lors de soirées car elles contribuent à la convivialité. Mais elles sont insuffisantes pour des dégustations professionnelles.'Les recherches sur les arômes ont permis de préciser le vocabulaire. Les travaux menés à la faculté de Bordeaux en sont un exemple. Ils ont conduit à l'identification de molécules aromatiques que l'on a clairement pu rattacher à des perceptions. Certaines, comme les éthyls phénols, sont responsables de défauts (goût d'écurie). D'autres, comme les molécules soufrées du sauvignon, procurent des sensations agréables. Ces travaux ont aussi confirmé que des descriptions utilisées par les anciens étaient fondées. Ils avaient remarqué que le sauvignon sent le buis. Ce n'est pas étonnant, car le vin de l'un et les feuilles de l'autre renferment la même molécule (4 MMP). Cependant, dans ce domaine, il reste beaucoup à faire. Si la perception de plusieurs parfums peut désormais être rattachée à des molécules, il n'en est pas de même de celle du gras, de l'astringence ou de l'amertume. Ces notions mériteraient elles aussi d'être précisées.