Malgré les critiques, les clones ont supplanté les autres formes de sélections. Ils sont apparus à la fin du XIXe siècle en Allemagne et à la fin des années 60 en France.
Au cours de ce siècle, on a mesuré à quel point les deux sens du mot 'variété' sont liés. Il est synonyme de cépage et de diversité. Avec la sélection clonale, on a découvert que tous les cépages abritent une importante diversité d'individus. Dans le cas des pinots, on le savait déjà. Il suffisait d'ouvrir les yeux pour s'en apercevoir. Mais dans le cas de cépages à la morphologie homogène comme le riesling, ce fut une découverte résultant de l'observation minutieuse de nombreuses souches. Les sélectionneurs ont remarqué qu'à productivité égale, certains sujets portent des raisins bien plus riches en sucre que d'autres. Ils n'ont retenu que les meilleurs.Les Allemands furent les premiers à entreprendre l'évaluation de différentes souches d'un même cépage. Ils ont commencé par le sylvaner dont ils ont proposé un clone dès 1896. Puis, ils se sont intéressés au riesling. En France, l'Alsace a démarré avant les autres régions. 'Le programme a débuté pendant la guerre par la constitution d'une collection, dit Pierre Huglin, sélectionneur retraité de l'Inra de Colmar. En 1971, lorsque la législation est entrée en vigueur, il y avait déjà quelques dizaines d'hectares complantés en clones dans notre région.'Les premiers clones français furent agréés en 1971. Très rapidement, ils se sont imposés. En 1998, le matériel certifié représente 94% des greffes-boutures mises en oeuvre par les pépiniéristes. Dans le cas des cépages bordelais et méditerranéens, sa part avoisine 98%. Mais pour les cépages alsaciens, bourguignons et savoyards, il persiste encore une demande notable de plants issus de sélections massales.Ces dernières ont précédé les sélections clonales. Elles répondaient au besoin d'assainissement du vignoble, où les maladies virales s'étaient répandues à la suite du phylloxera. 'De 1960 à 1975, à l'initiative des chambres d'agriculture, des techniciens sont allés marquer des souches selon des critères visuels de production et d'état sanitaire, explique Robert Boidron, le directeur de l'Entav. Les bois prélevés sur ces souches ont donné les plants Elite.'Avant de s'intéresser aux cépages, les sélectionneurs français avaient fait le tri dans les porte-greffes. Ceux-ci véhiculaient le court-noué et l'enroulement. Au sein de chaque variété, il suffisait de repérer un individu exempt de ces viroses pour détenir une tête de clone. Puis il ne restait qu'à assurer sa multiplication. Ce travail fut organisé par la Section de contrôle des bois et plants de vigne, organisme fondé en 1947 dont les missions furent peu à peu étendues et dont les réformes successives ont abouti à l'Onivins. En plus de déboucher sur une sélection de clones, il a permis de mettre un peu d'ordre dans les pépinières.Les cépages nécessitent des examens bien plus poussés que les porte-greffes. Les sélectionneurs ne se sont pas contentés d'apprécier leur état sanitaire. Ils ont évalué leurs performances agronomiques, puis oenologiques en vinifiant les récoltes. 'Au départ, le rendement était un critère primordial, reconnaît Robert Boidron. La viticulture nous demandait des plants productifs. A partir des années 80, nous avons pris davantage en compte les critères qualitatifs. Cela a débouché sur une nouvelle génération de clones moins productifs.'Pour de nombreux cépages, cette nouvelle génération est arrivée avec un temps de retard par rapport aux besoins des vignerons. Il faut en effet quinze à vingt ans entre une prospection visant à réunir des souches à étudier et la diffusion d'un clone. Pour cette raison, les clones ont été tenu pour responsables de l'augmentation des rendements.Ils ne le sont qu'en partie. Les excès de fertilisation ont eu un impact bien plus important.Les clones ont essuyé d'autres critiques, notamment celle de standardiser les vins. Or, la diversité persiste alors qu'ils occupent plus de la moitié du vignoble. Ils ont aussi suscité des craintes. 'Au départ, nous avions peur qu'une parcelle plantée d'un seul clone puisse entièrement couler, se souvient Louis-Pierre Pradier, de la chambre d'agriculture de Gironde. Cela ne s'est jamais produit. Et nous ne redoutons plus que cela se produise. Sur une même grappe, il y a un tel étalement de la floraison que c'est impossible, même avec des plantations aussi homogènes que celles de clones.'Plus récemment, on s'est inquiété de la perte de diversité. Elle est incontestable car on ne multiplie plus que quelques individus au sein des populations que forme un cépage. Elle est aggravée par le fait que la même réduction s'opère à l'échelle des cépages. En 1958, les dix variétés les plus cultivées couvraient 42% du vignoble. L'an dernier, le merlot, le cabernet sauvignon, le chardonnay, le grenache et la syrah totalisaient 62% des mises en pépinières. Toutes les régions, conscientes du danger que représente cet appauvrissement, ont constitué des conservatoires. Dans ces lieux, chaque variété restera synonyme de diversité.