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La loi Evin n'a pas atteint ses objectifs

La vigne - n°105 - décembre 1999 - page 0

En octobre est sorti le rapport Berger, faisant le bilan de huit ans d'application de la loi Evin. Sur le volet 'alcool', la conclusion est claire : le texte, peu à peu vidé de son sens, n'a pas été décisif. Le dispositif doit être revu.

On y croyait plus, mais il est arrivé. On ne parle pas ici du Messie - bien que l'époque s'y prête - mais du rapport d'évaluation (174 pages) sur la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, n°91-32 du 10 janvier 1991, plus connue sous le nom de loi Evin, du nom du ministre socialiste de la Santé de l'époque. L'article 13 de cette loi prévoyait 'qu'un rapport d'évaluation serait soumis par le gouvernement au Parlement pour janvier 1993 et janvier 1995'. Le texte est sorti en octobre 1999... avec plus de six ans de retard sur la première date. On se demande ce qu'il adviendrait d'un citoyen prenant de telles 'libertés' pour fournir ses relevés d'impôts ou autres déclarations... La raison officiellement avancée : 'Les retards pris dans la publication des textes d'application et les difficultés intrinsèques à cette tâche n'ont pas permis le respect de ce calendrier'.Rappelons que l'instance d'évaluation (quatre personnes) fut mise en place au premier semestre 1997, sous la présidence de Guy Berger, président de la chambre à la Cour des comptes. Le rapport devrait être présenté au Parlement prochainement. La commission a travaillé en auditionnant des intervenants et en recensant les études existantes.En préambule, les auteurs prennent leurs précautions : 'L'évaluation n'a pas été sans difficulté parce que la loi comporte de multiples dispositifs, qu'elle a fait l'objet non seulement de retards dans l'application mais aussi de modifications significatives, et qu'elle s'insère dans un environnement complexe où il est difficile d'isoler ses effets propres'. Par ailleurs, il est déploré l'insuffisance d'instruments d'observation et d'analyse dans le domaine de l'alcoolisme. 'Concernant l'alcool, les modifications successives apportées à la loi Evin ont réduit la portée de certaines dispositions majeures.' C'est la première conclusion du rapport. Ce n'est pas une surprise, La Vigne avait tiré des conclusions similaires lors d'un récent dossier consacré à ce sujet (n° 101, p. 26 à 31). Par exemple, l'article 7 limitait de manière très restrictive les lieux où la publicité était possible (radio, presse écrite, affichage dans les zones de production...).Au final, les décrets d'application et les amendements apportés par des textes législatifs ultérieurs 'ont peu à peu privé ces dispositions de leur portée'.Les auteurs vont même jusqu'à écrire : 'L'état du droit positif est aujourd'hui presque plus 'libéral' que celui qui existait avant la loi Evin'. On peut difficilement être plus clair. Pourtant, lors de sa première réaction, l'association Entreprise et prévention (qui regroupe dix-sept entreprises du milieu des alcools et qui est très en pointe sur ce sujet) estime 'que l'immense majorité des dispositions adoptées en 1991 sont applicables'. Pourquoi donc cette association prend-elle alors le soin de souligner qu'elle ne réclame pas l'abrogation du texte? Du machiavélisme?Dans ce contexte général de 'liberté' sur le front de l'affichage, le rapport note que plus personne ne demande la parution de deux décrets, qui étaient perçus comme des 'soupapes' et qui n'ont jamais vu le jour. Il s'agit de la publicité pour les fêtes et les foires traditionnelles, et celle en faveur des musées et des confréries oenologiques.Autre exemple analysé par le rapport : la vente de boissons alcooliques dans les établissements d'activité physique et sportive. L'article 6 voulait confirmer l'interdiction des buvettes sur les stades, disposition qui existait déjà mais qui était mal appliquée. Après de multiples péripéties juridico-administratives, on est arrivé à dix autorisations annuelles de vente pour chacun des groupements qui en feraient la demande! Conclusion cinglante des rapporteurs : 'Le législateur de 1998 n'accorde plus, apparemment, à la lutte contre l'alcoolisme sur les stades la même importance que son prédécesseur'.La 'liberté' revenant sur le front de l'affichage, le rapport constate que les 'annonceurs n'ont pas été longs à comprendre'. Le secteur de l'affichage a ainsi été le grand gagnant de la redistribution des dépenses de la publicité pour le secteur des alcools : 'Après deux années médiocres en 1993 et 1994, le secteur a connu une embellie significative'. Le rapport indique aussi que 'les publicitaires ont su s'adapter et concevoir des publicités qui ne sont pas moins séduisantes que les précédentes'. La jurisprudence a, en la matière, balisé le chemin.'La loi Evin qui avait l'ambition de limiter les dépenses de publicité a été privée de toute énergie par le législateur. Force est de constater que cette 'révision' a été menée de façon subreptice et sans débat comparable à celui qui avait eu lieu en 1990-1991.' De là à penser que les rapporteurs mettent en cause le lobbying 'sournois' de la filière et l'acceptation non moins 'dissimulée' du législateur, il n'y a qu'un pas...Sans surprise, les rapporteurs soulignent l'insuffisance des actions de prévention contre l'alcoolisme et le tabagisme. Pour l'Etat, il est évidemment moins onéreux de produire des lois que de financer de telles campagnes. 'La lutte contre l'alcoolisme, qui constitue un enjeu de santé publique, n'autorise pas à relâcher l'effort de prévention et d'éducation pour la santé.' 'Nous sommes prêts à prendre une part active à la mise en oeuvre d'une politique de prévention', a réagi le président de la Fédération française des spiritueux.Le rapport dresse donc un bilan qualifié de 'mitigé'. La lente baisse de la consommation d'alcool en France est due à d'autres facteurs que la loi. Les tendances lourdes se prolongent : la consommation d'alcool pur par personne de plus de 15 ans était de 22,3 l en 1970 ; elle n'était plus que de 20,6 l en 1980, puis 16,7 l en 1990 et de 14,8 l en 1997. Si ce sont des tendances lourdes, faut-il alors agir sur la publicité, postulat de base de la loi Evin, pour lutter contre la consommation excessive d'alcool?Cependant, et c'est peut-être le point le plus positif, la loi a 'constitué par elle-même un message important de santé publique'. Comme on en a beaucoup parlé, 'elle ne pouvait laisser la société indifférente'. De plus, 'la mention obligatoire de messages sanitaires semble avoir contribué à une meilleure information de la population sur les dangers d'une consommation excessive'.Ce rapport se veut aussi un point de départ pour tout le débat présent (l'alcool est une 'drogue'...) et à venir sur la définition d'une politique de santé publique en matière de consommations dangereuses. Il est ainsi souligné 'que le statu quo n'est pas acceptable. On recommande un réexamen de la cohérence des règles de droit au regard des enjeux de santé publique et de protection de la jeunesse'.

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