Les retraités agricoles ont un niveau très bas, conséquence d'une farouche résistance à un régime obligatoire de retraite.
Les vignerons partant à la retraite perçoivent de faibles pensions en comparaison des autres corps de métier. Certes, les autres revenus, notamment fonciers, complètent ces retraites. Mais comme le montre l'étude réalisée par l'Insee (voir infographie), la situation des anciens agriculteurs est la moins favorable de tous les anciens actifs, avec un bémol pour les vignerons qui se situent globalement au-dessus de la moyenne agricole. La faute à qui? La responsabilité incombe en grande partie à la profession elle-même, qui a manqué de discernement sur l'avenir démographique et sociologique de l'agriculture.L'allocation vieillesse agricole n'est apparue qu'en 1952, alors que les salariés y étaient assujettis depuis 1930 et les non-salariés depuis 1949. Jean-Paul Galisson, secrétaire général de la MSA de Haute-Loire, analyse les raisons de ce retard par 'un souci d'indépendance d'une profession refusant l'intrusion de l'Etat dans un champ professionnel, une tradition mutualiste, ou encore une confiance du monde agricole en l'épargne individuelle et dans la solidarité familiale'.Cette farouche volonté d'être autonome, les retraités la paient aujourd'hui. Elle n'est pourtant pas propre au monde agricole. Les artisans et les commerçants n'étaient pas favorables, eux non plus, à leur insertion dans le régime général. Ils ont toutefois fait leur révolution culturelle dans les années 70, conscients de la fragilité de leur marginalité. La filière agricole ne l'a pas faite, trop confiante dans ses capacités d'épargne. Or, c'est justement le monde agricole qui a vu ses revenus se dégrader depuis plusieurs décennies, avec une évolution démographique très pénalisante : en 1964, la France comptait encore 15% d'agriculteurs contre moins de 3% actuellement. Point positif pour l'avenir : l'évolution démographique de la profession devrait se stabiliser.Le besoin de se constituer une véritable retraite s'est construit petit à petit pour aboutir à une première étape en 1990. Depuis neuf ans, les exploitants cotisent sur leur revenu fiscal. La retraite de base est globalement la même que celle des autres régimes, avec toujours en ligne de fond quelques imperfections sur le calcul de l'assiette des cotisations sociales. Un vigneron installé en 1990 touchera donc la même retraite de base qu'un salarié.La retraite complémentaire obligatoire, effective dans tous les régimes, sauf celui des exploitants agricoles, devrait se mettre en place en 2002. La MSA s'inspire, entre autres, du régime complémentaire des artisans, instauré en 1974 avec succès. La marche vers la parité est loin d'être achevée. Mais la réelle égalité entre les professions n'existe pas.Le décalage entre les retraités du privé et du public reste important. Avec la réforme de 1993, un cadre du secteur privé cotisera bientôt pendant quarante ans pour percevoir 50% du revenu moyen de ses vingt-cinq meilleures années, alors qu'un fonctionnaire continue de cotiser pendant 37,5 ans pour toucher 75% du salaire de ses six derniers mois (hors primes et indemnités). Les raisons de ce décalage sont historiques. Mais avec l'espérance de vie qui s'allonge, la précarité de l'emploi dans le privé et l'alignement des salaires du public (141 970 F nets par an en moyenne en 1996) sur ceux du privé (128 220 F nets par an), ce traitement de faveur, autrefois compréhensible, n'a plus de raison d'être. La réforme des retraites, politiquement risquée, devrait permettre d'atténuer ces différences. Reste à savoir si elle aura lieu...Toutefois, avant de crier au scandale, la profession pourrait elle aussi faire le ménage à propos d'une inégalité connue : la différence de contributions entre les vignerons au réel et ceux au forfait. Là aussi, il faudrait une petite dose de courage politique de la part des responsables professionnels pour atténuer cette injustice (voir interview de Jeannette Gros). Car la capacité d'épargne d'un vigneron au forfait à 450 000 F de chiffre d'affaires se révèle bien supérieure à celle d'un vigneron de la même région à 550 000 F, étant donné les faibles cotisations que paie le premier.'La meilleure preuve que le forfait est très avantageux, c'est que certains n'hésiteraient pas à arracher des vignes pour rester au forfait', ironise un vigneron de l'Hérault. Cette réforme peut paraître déconnectée des retraites. Elle est pourtant au coeur du système car le financement de retraites correctes ne pourra se faire sans le concours équitable de l'ensemble de la profession.