Après avoir été décriés, certains cépages régionaux retrouvent la cote. Lorsqu'ils sont bien implantés et bien conduits, ils apportent de la typicité sans compromettre la qualité.
Dans le Val-de-Loire, après une forte progression dans les années soixante, les surfaces de grolleau ont nettement diminué au cours de la dernière décennie. Principalement utilisé pour élaborer des rosés, ce cépage a subi le contrecoup de la crise qui s'est installée sur ce marché après le gel de 1991. Pour reconquérir des débouchés et améliorer la valorisation, il a fallu progresser en qualité.'Pour évaluer son potentiel réel, nous avons d'abord défini sa maturité optimale. Lorsqu'elle est respectée, le vin obtenu ne présente pas les défauts fréquemment attribués au grolleau ; il est beaucoup plus fruité et gagne en rondeur. Nous avons ensuite recherché comment vinifier au mieux ces raisins mûrs à point et comment les obtenir à la vigne', explique Frédéric Etienne, de l'ITV d'Angers (Maine-et-Loire). Dix-huit parcelles situées chez des vignerons ont été suivies pendant plusieurs années. 'Lorsque le cépage est implanté dans un terroir lui convenant et que le rendement est maîtrisé, les résultats sont très satisfaisants. Mais ce n'est pas toujours le cas. Pour progresser, il faut revoir le choix de taille, soigner l'ébourgeonnage et envisager l'éclaircissag, afin d'éviter tout entassement des grappes. Le grolleau est sensible à la pourriture, ce qui amène parfois à le ramasser avant maturité. Par ailleurs, dans les terroirs profonds, l'enherbement est indispensable, car lorsqu'il pleut en fin de saison, les baies gonflent facilement et les vins obtenus sont alors trop dilués', souligne Isabelle Guillou, qui suit cet observatoire à l'ITV d'Angers.La chute des surfaces semble enrayée et la sélection a été relancée de façon à disposer de clones moins productifs. 'Tout le monde ne peut pas faire des rouges! Avec notre rosé demi-sec, nous avons conquis une notoriété à l'export. Préservons ce débouché et améliorons nos méthodes, au lieu de décrier le cépage', affirme Michel Blet, vigneron à Nueil-sur-Layon et président du syndicat du rosé d'Anjou.Dans le Médoc, c'est le petit verdot qui retrouve la cote. Pour exprimer pleinement ses qualités, ce cépage tardif doit être récolté à maturité, après le cabernet. 'Il apporte de l'acidité, des tanins et de l'alcool, il entre dans nos assemblages à raison de 4 ou 5%. Mais nous ne l'utilisons pas dans chaque millésime, car sa maturité n'est pas toujours satisfaisante', affirme-t-on au château Ducru Beaucaillou, à Saint-Julien-Beychevelle.Lorsqu'il pleut en fin de saison, le vigneron doit avoir pris des mesures préventives pour conserver un bon état sanitaire et éviter de précipiter la récolte. 'Fin juillet, nous réalisons un effeuillage et nous étalons bien les grappes. Nous gardons les raisins les plus près du sol pour qu'ils profitent au maximum des dernières chaleurs, et nous éclaircissons sévèrement pour ne laisser que 6 à 8 grappes par cep. Pour donner de bons résultats, ce cépage productif ne doit pas dépasser les 55 hl/ha', estime Damien Fédieu, du château Micalet, à Cussac-Fort-Médoc. C'est son père, séduit par les vins qu'il avait dégustés, qui a replanté 0,5 ha de petit verdot en 1993. 'Il apporte de la couleur, du corps et des tanins. C'est un cépage complet, les anciens disaient qu'il faisait le vin à lui tout seul.'Il ne compte pas pour autant en planter plus, car au-delà de 7 à 8% dans les assemblages, il donne des vins qui nécessitent un élevage de longue durée pour s'assouplir. 'Le petit verdot produit beaucoup de pampres. Il a des bois cassants ne facilitant pas le relevage et pour mûrir dans de bonnes conditions, il nécessite beaucoup d'interventions en vert. Mais le résultat en vaut la peine, car il apporte de la complexité.'Dans le Médoc, les plantations ont redémarré ces dernières années. 'A l'heure où le cabernet et le merlot sont cultivés partout dans le monde, jouer la carte d'un cépage original peut être utile pour se démarquer', estime un nombre croissant de vignerons. Le clone 400, seul disponible, est jugé trop productif, certains préfèrent réaliser des sélections massales. 'Nous avons marqué des souches mères cette année et nous allons relancer la sélection. D'ici quelques années, nous devrions disposer de clones moins vigoureux', précise Louis-Pierre Pradier, de la chambre d'agriculture de Gironde.Dans le vignoble méridional, le carignan a longtemps dominé l'encépagement, car il s'adaptait bien à un large éventail de situations. Aujourd'hui, il a été arraché dans les zones les plus fertiles, mais il constitue toujours le cépage principal d'une partie des appellations du Languedoc. Les vignes conservées ont souvent plus de 30 ou 40 ans d'âge et donnent régulièrement des raisins très concentrés, qui permettent d'avoir une qualité suivie. 'Ce cépage est capable du meilleur comme du pire. Sur de bons terroirs, avec un rendement limité à 50 hl/ha, une récolte à maturité et une vinification adaptée, type macération carbonique, il donne d'excellents vins. Il a été beaucoup arraché et le sera encore, mais il faudrait penser à stabiliser les surfaces, car il reste essentiel pour la typicité des vins du Languedoc', estime Jean Baron, directeur de la coopérative de Monze (Aude). 'Les vins où le carignan domine correspondent moins au goût d'aujourd'hui, ajoute Yves Laboucarié, vigneron à Boutenac, dans les Corbières. Nous devons nous adapter à la demande, en introduisant de la syrah et du mourvèdre pour les arômes, du grenache pour la finesse. Mais nous devons aussi nous appuyer sur notre héritage et ne pas renier notre identité.' Avec des vignes de 40 à 90 ans, il élabore une cuvée haut de gamme qui valorise bien ce cépage, vendangé exclusivement à la main.'La demande en greffons, qui s'était arrêtée pendant dix ans, a repris depuis deux ans. Mais pour l'instant, la priorité est à la conservation des vieilles vignes plutôt qu'à la plantation', souligne Didier Viguier, de la chambre d'agriculture de l'Aude. Le potentiel qualitatif du carignan s'exprime pleinement à partir de 30 ou 40 ans. Il faudra bien se décider à le renouveler pour que la génération à venir puisse en hériter. En attendant, pour préserver la variabilité génétique, un conservatoire a été créé en 1998. Il rassemble 254 familles issues du sud de la France et du nord de l'Espagne.