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Les vers de terre

La vigne - n°107 - février 2000 - page 0

Les vers de terre réalisent un travail primordial dans les sols. Ils jouent sur leur fertilité, mais aussi sur leur conservation en freinant les phénomènes d'érosion.

Face à la concurrence mondiale, ce qui nous distingue des autres, ce sont nos terroirs, lance Arnaud Descotes, au CIVC (Comité interprofessionnel des vins de Champagne). A l'heure où l'on parle de rétrogradation des sols dans le Midi, il faut préserver cet atout.
Lorsqu'on évoque la vie dans les sols, on pense à la biomasse microbienne, plus rarement aux lombriciens, communément appelés vers de terre. Pourtant, ces 'laboureurs' réalisent un travail colossal. Ils creusent des galeries, ingèrent et mélangent la matière organique et la matière minérale des sols, puis forment des agrégats stables. Dans les sols viticoles, selon leur densité, ils brassent 40 à 100 tonnes de terre par hectare et par an! Cette activité aère le sol. Dans les zones colonisées par les lombriciens, les racines explorent plus facilement les horizons inférieurs que dans un sol compact. La présence de pores de gros diamètres facilite l'infiltration des eaux de pluie et limite l'érosion.

Outre ce rôle physique et mécanique, les vers de terre enfouissent les amendements apportés par le vigneron, mais aussi les feuilles et les morceaux de sarments tombés à terre. Ces débris végétaux, une fois ingérés par le lombric, sont fragmentés. Une partie sera minéralisée. Enfin, les lombriciens développent des relations avec la microflore du sol, notamment lorsqu'elle passe dans leur tube digestif. Ainsi, ils régulent l'activité microbienne. Daniel Cluzeau, de l'université de Rennes, spécialiste de cette faune, explique qu'en étudiant une trentaine de vignes champenoises, son équipe a montré qu'il existait une relation entre les biomasses lombriciennes et microbiennes.
Les vers de terre se divisent en trois groupes. Les épigés, les vers de fumier, sont de petite taille. Ils restent sur les couches superficielles du sol. Les endogés vivent en permanence dans le sol et se nourrissent de terre plus ou moins mélangée à la matière organique. Les anéciques sont les plus intéressants. 'Ces gros vers peuvent aller en surface, ils ont la capacité musculaire d'enfouir des morceaux de feuilles ou de sarments, explique Daniel Cluzeau. Ce sont les plus adaptés au sol viticole.' Ils rejettent de leur terrier des tortillons de terre, les turricules. 'La mise en culture intensive, la diminution du retour de matière organique, une rotation culturale simplifiée, des labours plus fréquents ont entraîné une baisse de la population lombricienne dans les sols agricoles, poursuit-il. L'arrivée des produits phytosanitaires n'a fait qu'accentuer cette situation. Les prairies renferment aujourd'hui le plus grand nombre d'individus et la plus grande diversité. Avec 150 à 200 vers/m², on arrive à 2,5 tonnes, parfois 4 t/ha de biomasse lombricienne. En zone viticole, dans certains sols, on retrouve 0,1 ou 2 vers/m²; dans d'autres recevant des amendements organiques depuis plusieurs années, on peut trouver 100 vers. La moyenne, dans les sols champenois étudiés, se situe entre 40 à 60 vers, avec pratiquement que des anéciques, qui sont des vers de grande taille, ce qui explique qu'on arrive à des biomasses de 800 kg à 1 t/ha.'

Dans le cadre du programme Viti 2000, le CIVC étudie depuis 1990 les effets des pratiques viticoles sur la vigne, le sol et les êtres vivants, notamment les vers de terre. Cette étude de longue haleine s'appuie sur un réseau de plate-formes expérimentales. Il est encore trop tôt pour donner des résultats définitifs. Cependant, quelques tendances se dégagent.
'Il y a une grande variabilité naturelle des populations de vers de terre, explique Arnaud Descotes. Elle est plus forte que celle due à l'application des produits phytosanitaires, à une exception près, le cuivre: il a un effet négatif net sur la biomasse lombricienne.' 'Cependant, il y a un effet des traitements, ajoute Daniel Cluzeau. Quand on compare les incidences d'une lutte intégrée et d'une lutte conventionnelle sur la population lombricienne, on le voit.'
En effet, toujours dans le cadre de Viti 2000, le CIVC compare deux filières de production: une conduite dite traditionnelle et une viticulture intégrée. Selon les mesures réalisées sur les populations, même si les deux modes de conduite ne peuvent être distingués, les vignes en culture intégrée tendent à renfermer plus de lombrics que les autres.
De plus, entre 1990 et 1997, le nombre de lombrics a progressé plus vite dans les parcelles conduites en viticulture raisonnée.
'L'impact des produits phytosanitaires n'est peut-être pas encore visible à l'échelle expérimentale, commente Daniel Cluzeau, mais il l'est au laboratoire. La restauration d'une population ne se fait pas en cinq ans, les lombriciens ont un cycle de vie de un an et demi à trois ans et un pouvoir de reproduction faible.' Selon ce chercheur, le cas du cuivre est plus complexe qu'il n'y paraît. 'Il n'y a pas de relation directe entre la concentration en cuivre dans les sols et la baisse de la biomasse lombricienne. Si le sol contient beaucoup de matière organique, celle-ci formera des complexes avec le cuivre, qui sera alors moins disponible, donc moins toxique. Dans les parcelles d'un agrobiologiste en Champagne, nous avons retrouvé des doses de cuivre supérieures à la moyenne, mais aussi 200 vers de terre/m², avec une diversité de population.'
Le CIVC a également évalué les effets de plusieurs techniques d'entretien du sol (fertilisation minérale, entretien organique ou enherbement) sur la vie dans les sols. Dès le premier point réalisé en 1994, les Champenois ont noté une hausse significative du peuplement lombricien pour les sols ayant reçu des mulchs d'écorces et les sols enherbés. L'effet positif des mulchs s'est confirmé lors du deuxième bilan, en 1997. De plus, les mulchs permettent une diversification des populations. L'enherbement a lui aussi un rôle favorable, mais il peut accélérer l'entrée en léthargie des lombrics en asséchant le sol. En revanche, aux regards des deux bilans réalisés, la fertilisation organique n'a pas stimulé significativement les vers de terre.

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