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L'art de laisser vieillir les eaux-de-vie

La vigne - n°107 - février 2000 - page 0

De nombreux paramètres jouent sur le vieillissement d'une eau-de-vie. A chaque étape, les choix se raisonnent en fonction du type de produit souhaité.

Le vieillissement d'une eau-de-vie repose sur la qualité du chêne utilisé (grosseur du grain) et sur les pratiques du tonnelier. Les vignerons d'Armagnac utilisent plutôt le chêne pédonculé de Gascogne, les Charentais celui de type limousin. 'Nous essayons de faire le maximum de chêne de Gascogne, un bois à gros grains, rapportent Roland et Olivier Gesller, vignerons au domaine de Joy, à Panjas (Gers). On peut mixer avec des bois plus fins qui conviennent très bien au vin et donnent des armagnacs beaucoup plus souples.''Au fur et à mesure que l'on chauffe la barrique, à des températures et des durées variables, on modifie la structure du bois', explique Marie-Claude Ségur, oenologue au BNIA (Bureau national interprofessionnel de l'armagnac). Il acquiert ainsi des nuances aromatiques de vanillé et de grillé, sans atteindre des notes brûlées qui masqueraient les arômes. En général, une chauffe légère ne suffit pas pour les eaux-de-vie. Un vigneron voulant privilégier le fruité optera pour une chauffe plutôt moyenne, celui qui cherche les arômes du bois choisira une chauffe plus forte.'La barrique apporte du tannin, de l'amertume, un peu de verdeur. Ces éléments rudes doivent être supportés par le gras et la suavité amenés par le vin', dit encore Marie-Claude Ségur. Si l'eau-de-vie de base a un défaut ou est médiocre, la qualité du bois n'y pourra rien. On recherchera une eau-de-vie blanche très fruitée, riche, issue de vin avec des levures en suspension, sans défaut de vin ou de distillation.Pour Robert Léauté, maître de chai à Cognac, les notes fruitées et florales des cognacs sont directement liées aux caractéristiques du terroir, à la conduite des vinifications et à la méthode de distillation. 'L'idéal, c'est d'avoir des blancs très aromatiques, entre 9 et 10, et de distiller le plus tôt possible', pensent les Gesller.'On sait l'influence du chai sur la maturation des eaux-de-vie. Un bon chai a des murs assez épais, une toiture basse, une isolation limitée, un sol en terre battue, une hygrométrie élevée', précise Bernard Galy, oenologue à la station viticole du BNIC (Bureau national interprofessionnel du cognac).'Dans un chai humide, l'évaporation d'eau sera relativement faible, indique Marie-Claude Ségur. L'alcool s'évaporera doucement: on perdra en l'agressivité, on gagnera en douceur.' 'Le chai ne doit pas être hermétique, il doit respirer. On peut prévoir des petites ouvertures pour assurer les courants d'air et les variations de températures: l'important est que ça vive, insistent les Gessler. L'armagnac qui vieillit au nord va réagir différemment par rapport au même armagnac, dans la même barrique, placé à l'entrée du chai. De même, il y a des variations incroyables entre une partie ensoleillée et un coin très humide contre le mur...'Certaines maisons ont des chais à trois niveaux. Les eaux-de-vie jeunes sont placées au premier étage, sous les toits, car les variations de températures importantes entre l'été et l'hiver créent un vieillissement rapide et favorisent l'élimination des substances volatiles. Quand le vieillissement est amorcé, les barriques sont descendues progressivement pour finir leur vie au calme, en sous-sol. On peut aussi changer les eaux-de-vie de fût ou de chai, pour les rendre plus sèches ou plus moelleuses.L'élevage des eaux-de-vie en barriques doit être adapté au type de produit que l'on veut vendre. Pour la première phase d'extraction des tannins, la durée du logement en fûts neufs est variable. Elle se calcule aussi en fonction du devenir des eaux-de-vie. 'Pour un cognac commercialisé au bout de quatre ans, quatre mois en fûts neufs suffisent, au plus six mois', indique Bernard Galy. L'élaboration d'un cognac de qualité XO (1) supportera une année dans du bois neuf pour que les eaux-de-vie soient suffisamment riches en matières extractibles et puissent supporter un vieillissement prolongé.'Si l'on veut vendre son armagnac à cinq ans, on le sortira des pièces neuves au bout d'un an maximum', précise Marie-Claude Ségur. On peut aussi le faire vieillir dans des barriques d'un ou deux ans et le laisser un peu plus longtemps. Les tannins extraits sont alors plus souples. On loge ensuite cette eau-de-vie en fûts semi-épuisés ou épuisés pour favoriser les échanges naturels lors de la phase du vieillissement oxydatif. En contact avec l'air, l'eau-de-vie perdra progressivement sa force alcoolique et son volume. D'autres vignerons, 'qui ont l'éthique et le culte du bois', laissent leur armagnac toute sa vie dans la pièce de début. Vendu à quinze-vingt ans, 'il sera excessivement marqué par le bois. Il faut impérativement que la pièce soit de très grande qualité', ajoute Marie-Claude Ségur.Si le chai est sec et que l'on veut commercialiser une eau-de-vie jeune à 40°, on peut faire tomber son degré alcoolique en ajoutant de l'eau distillée. 'Dans la mesure où les arômes de rancio progressent plus facilement lorsque le type alcoométrique est relativement bas, il ne faut pas attendre trop pour réduire l'armagnac', conseille-t-on au BNIA. On commence la réduction après la phase de prise de bois, par paliers successifs.En Armagnac, on conseille d'aérer les eaux-de-vie au moins une fois par an, au tout début du vieillissement. En pièce neuve, l'aération aide les tannins extraits en masse à s'oxyder et à s'arrondir. 'Elle aide l'armagnac à digérer les tannins et à perdre son feu', résume Marie-Claude Ségur. En Cognaçais, l'aération se fait plutôt par la pratique des assemblages, mais aussi pendant toute la durée du vieillissement oxydatif (par pompage deux fois par an).'La phase capitale du vieillissement, c'est d'amener progressivement les eaux-de-vie vers la commercialisation sans attendre le dernier moment pour préparer une coupe, on risquerait d'avoir à faire face à des problèmes d'instabilité, résume Bernard Galy. Avoir une méthode de travail planifiée sur de nombreuses années est indispensable: un 'trois étoiles', on a trois ans pour s'y préparer, un 'Napoléon', six ans ou plus. Tout dépend de ce que l'on veut.''Les eaux-de-vie évoluent en permanence, conclut Roland Gessler. Il faut bien les choisir en fonction de leur destination. Par exemple, en deux ou trois ans, on sait si un armagnac va faire un millésime: on l'élèvera en tant que tel pour qu'il prenne petit à petit son bois et qu'il évolue. Chaque étape, tout doucement, est importante.' Bien sûr, il faut goûter les barriques, au moins une fois par an.'On peut préférer des armagnacs souples ou privilégier le fruit, parce que le raisin est en bon état, parce qu'on a les bons cépages, qu'on a distillé de bonne heure, explique Roland Gessler. Selon mon armagnac, mon entreprise, mes habitudes, l'environnement, je le ferai fruité, rancio, boisé, vanillé, je renforcerai tel compte d'âge ou tel autre. La dégustation permet d'opérer des choix, en fonction des classements et des ventes souhaités. En armagnac, on choisit souvent des millésimes avec parfois des écarts importants, mais une eau-de-vie, c'est la nature, pas un Coca-Cola. C'est un produit qui vit!'(1) XO signifie 'extra old' et correspond à des cognacs dont la plus jeune eau-de-vie a au moins six ans et demi d'âge.

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