Dans un livre récemment paru, Claude Muller, dévoile ce que fut l'histoire du vignoble d'Alsace entre le XVIe et le XXe siècle.
De 1618 à 1648, la guerre de Trente Ans oppose la France à l'Empire et ravage les provinces de l'Est. Même si la présence des troupes n'arrête pas totalement le travail de la vigne, la main-d'oeuvre se fait rare et les pillages de caves se multiplient. Il faut augmenter les salaires pour engager des salariés devenus moins nombreux et, au besoin, faire appel à des journaliers étrangers, des Suisses principalement. Les dégâts coûtent cher et limitent les revenus des propriétaires. Ainsi, l'abbaye de Murbach perçoit, en 1614, 35 foudres de vin (dont 6 de rouge) sur les paysans payant le cens, mais n'en reçoit plus que 13 en 1634 et 3 en 1651.D'autre part, le climat n'est guère favorable dans cette province qui réclame des automnes ensoleillés. Pendant tout le XVIIe siècle, les chroniqueurs n'enregistrent que dix-huit bonnes années, pour cinquante-six mauvaises et vingt-six moyennes. Parmi les bonnes années, 1603, 1605, 1624, 1630, 1647, 1650, 1660, 1666 (à Colmar, cette année-là, on commença à vendanger le 12 septembre), 1680 et 1686, années où la qualité et la quantité sont au rendez-vous. Mais la vendange 1608 est détestable, la décennie 1620-1629 vraiment catastrophique avec huit mauvaises récoltes; on compte encore six mauvaises années entre 1640 et 1649 et surtout neuf dans la dernière décennie du siècle, la décennie la plus froide et la plus pluvieuse de notre histoire.Et pourtant, aussitôt la guerre finie, en 1648, le vignoble se reconstitue rapidement et s'étend même. Mais il renaît de façon plus anarchique, abandonnant une partie des collines sous-vosgiennes pour s'étaler en plaine. Selon les responsables politiques, cela nuit à la bonne renommée des vins, d'autant plus que les vignerons abandonnent les raisins 'gentils' (nobles) et leur préfèrent des cépages plus productifs. En 1677, le conseil provincial d'Alsace doit condamner la conversion des terres labourables en vignes, interdiction si mal respectée qu'elle doit être renouvelée en 1699.Les voyageurs décrivent avec admiration le vignoble alsacien: en 1662, Pierre du Val, géographe de Louis XIV, souligne qu'on ne trouve aucun lieu en friche et que 'le vin d'Alsace est fort agréable à boire'. C'est l'époque où le vin de Colmar se vend bien en Suisse, tandis que les Hollandais achètent en Basse-Alsace où le commerce se concentre sur le marché de Strasbourg.Si les blancs l'emportent, les rouges restent présents dans toute la province et on en boit à l'hôpital de Strasbourg. En 1683, un aubergiste de Dambach en vend 100 ohms (50 hl) aux Impériaux. Hélas, il s'agit parfois de blancs colorés avec des myrtilles et vendus à bas prix, ce qui compromet la vente du vrai vin rouge. Déjà la fraude!Claude Muller, 'Les vins d'Alsace'. Histoire d'un vignoble, Strasbourg, 1999, 192 pages.