Il n'est plus question de détruire à tout prix les ennemis de la vigne. Il faut obtenir des produits sains.
A quoi bon passer son temps à compter des typhlodromes, des acariens ou des larves de tordeuses? D'un point de vue comptable, il n'y a pas grand-chose à y gagner. Les vignerons engagés dans la protection raisonnée ne le con- testent pas. Pour eux, l'intérêt de ces observations est ailleurs. Elles leur révèlent un monde d'une richesse qu'ils ne soupçonnaient pas avant de se saisir d'une loupe de poche. Ils découvrent que leurs vignes abritent une faune très diverse d'insectes. De ce fait, ils jettent un autre regard sur elles. 'On doit faire avec la nature et non pas contre elle, estime Rémy Fort, le vice-président de la coopérative Anne de Joyeuse dans l'Aude. Le boulot devient formidable grâce à cela.'Ce changement d'optique transforme le métier. D'une part, il donne un sens à l'acte de traiter car il répond à un danger observé et quantifié, et non pas à un programme préétabli. On peut donc le justifier face à de tierces personnes qui en admettent d'autant mieux la nécessité.D'autre part, on acquiert plus facilement des gestes simples qui réduisent la pollution de l'environnement: le rinçage des bidons ou celui du pulvérisateur, suivi d'une application de ce fond de cuve sur les vignes plutôt que son déversement dans le caniveau.L'adoption des règles de la protection raisonnée conduit également à juger différemment les ennemis de la vigne. Ce ne sont plus des ravageurs ou des maladies à anéantir. On admet qu'il suffit de limiter leur nuisance. Ce nouvel état d'esprit est surtout perceptible à l'égard des mauvaises herbes. Il fut un temps où elles n'avaient pas leur place dans le vignoble, pas même dans les abords des parcelles, ni en hiver. Il fallait que les parcelles soient nettes tout au long de l'année. Les pollutions engendrées par cette conception nous imposent de la revoir. Les mauvaises herbes ne doivent pas concurrencer les vigne durant son cycle végétatif. Et c'est tout. En hiver, elles ne lui causent aucun tort. Au contraire, elles contribuent à limiter l'érosion et à fixer l'azote.Enfin, les vignerons apprécient le contact avec leurs voisins et leurs techniciens. Ils se sentent mieux armés pour négocier avec leurs fournisseurs de produits phytosanitaires. Il ne se contentent plus de suivre aveuglément leurs conseils. Ils choisissent leur produits en fonction de leur toxicité vis-à-vis de la faune auxiliaire et de l'homme, et non plus seulement de leur coût. Ces transformations peuvent paraître minimes, mais elles sont fondamentales. Elles témoignent aux yeux de tous que le vigneron a, comme d'autres, le souci de vendre des produits sains et de céder un monde viable à ses enfants.