Faute de débouchés ou du fait de la volonté d'acheteurs, certaines appellations sont contraintes à se replier sous une dénomination générique. Les syndicats concernés veulent y mettre fin.
'Trop de personnes nous demandent : 'le montravel, c'est quoi ?', reconnaît Jean-François Deffarge, le président du syndicat de cette appellation de la région de Bergerac. Ce vin blanc sec ou moelleux vient des terroirs de sables et de graviers de la rive droite de la Dordogne. Il résulte d'assemblages de sauvignon, de sémillon et de muscadelle. Tous les ans, 5 000 hl sont repliés en bergerac sur des volumes agréés en montravel de l'ordre de 15 000 hl.Au moment de remplir leur déclaration de récolte, les producteurs misent sur le montravel car ses cours sont supérieurs à ceux du bergerac. Durant les deux précédentes campagnes, le premier s'est vendu en moyenne 15 % plus cher que le second. En contrepartie, les récoltants renoncent aux 66 hl/ha autorisés pour le bergerac (rendements autorisés en 1998 et 1999) pour se contenter de 60 hl/ha. Le syndicat ne se satisfait pas de cette situation. Il encourage ses membres à se positionner dès les vendanges sur l'un ou l'autre des deux marchés. Il a conçu une bouteille destinée au montravel afin que les consommateurs l'identifient mieux. Elle fut lancée à l'occasion du millésime 96. ' Nous nous étions fixés l'objectif du million de cols au bout de trois ans, rappelle Jean-François Deffarge. Nous en sommes déjà à 1,3 million de cols. ' Le syndicat veut également obtenir l'appellation montravel pour les rouges produits dans l'aire délimitée et qui représentent 60 % de l'encépagement. Pour l'instant, ils sont déclarés en bergerac. Les producteurs sont donc forcément appelés à défendre deux bannières. L'aboutissement de ce projet leur permettrait de concentrer leurs efforts tout en les dotant d'une arme nouvelle, bien utile. ' Il est difficile de se battre uniquement sur les vins blancs à un moment où ils ne sont pas au meilleur de leur forme ', concède Jean-François Deffarge. Le Mâconnais vit une situation comparable, bien qu'elle s'applique à des volumes dix fois supérieurs. La région revendique annuellement 180 000 à 190 000 hl de mâcon villages. ' Bon an mal an, 60 000 hl se replient, estime Jean-Michel Aubinel, le président le l'Union des mâcons. Le négoce achète du mâcon villages blanc et le vend en bourgogne blanc. C'est une situation qui ne nous convient pas, mais qui correspond à une réalité de marché. ' A l'étranger, la Bourgogne est plus connue que Mâcon. Malgré cela, lors des deux dernières campagnes, les cours des bourgognes blancs et des mâcons villages étaient identiques. Non contentes de se replier, les appellations du Mâconnais ne revendiquent pas tous les volumes produits sur leur aire. Selon Jean-Michel Aubinel, leur potentiel est de 250 000 hl. Il a doublé au cours des vingt dernières années. Mâcon n'a pas su étendre sa renommée au même rythme que son vignoble car elle s'est dispersée. Quarante-trois communes peuvent associer leur nom à celui de leur capitale régionale et le mentionner sur les étiquettes. Mâcon Azé, mâcon Berzé-le-Châtel, mâcon Bissy-la-Mâconnaise... impossible d'affirmer autant d'identités. Pour le syndicat, il serait plus sage d'opérer des regroupements. ' Le dossier moteur est celui de Lugny, explique Jean-Michel Aubinel. Deux communes sont prêtes à abandonner leur nom pour celui de Lugny. D'autres projets sont en cours. ' Cette politique permettra de fournir des volumes plus conséquents aux négociants qui ont déjà misé sur l'un ou l'autre des terroirs pour se distinguer de leurs concurrents. Elle se complète d'une timide clarification de la hiérarchie régionale. Au sommet, les mâcons suivis du nom d'une commune voient leurs rendements limités à 68 hl/ha ; au centre, le mâcon villages à 70 hl/ha ; à la base, le mâcon à 72 hl/ha. Ces niveaux ont été fixés il y a trois ans. Auparavant, les rendements étaient les mêmes pour les trois appellations. Autre région où les replis sont monnaie courante, la Gironde. Mais là, les volumes sont bien moins connus. L'interprofession n'avance aucun chiffre. La raison en est simple. Les appellations repliées en bordeaux générique sont multiples alors que le négoce, qui est le seul à commettre ces manoeuvres, ne les déclare pas, même s'il ne s'en cache pas. Lorsqu'il passe un premières-côtes-de-bordeaux en bordeaux, il n'a aucune autre obligation que celle de tenir à jour son registre des appellations. Le repli répond à deux stratégies. Dans le cas des vins blancs, il s'agit de saisir des opportunités de marchés qui s'offrent un jour aux bordeaux, le lendemain aux entre-deux-mers. Dans le cas des vins rouges, il s'agit de composer un bordeaux haut de gamme. ' Nous pratiquons énormément le repli pour nos marques Yvecourt et Premius, proclame Jean-François Mau, le PDG du négociant Yvon Mau. Nous n'aurions pas besoin d'acheter des côtes si tous les bordeaux étaient à la hauteur de nos exigences. ' Ses sources d'approvisionnement dépendent des millésimes. Le 99 intègrera un pourcentage élevé d'appellations hiérarchiquement supérieures à bordeaux car il est ' très hétérogène '. Jean-François Mau pense que la pratique qu'il partage avec plusieurs de ses concurrents est appelée à se perpétuer. S'il voulait miser sur une appellation intermédiaire, il rencontrerait des difficultés d'approvisionnement. S'il voulait viser encore plus haut, il n'arriverait pas à imposer son nom. ' Nous ne croyons pas au succès de marques sur des appellations supérieures comme les Graves ou le Médoc, car nous entrons là dans le domaine des châteaux. ' Si le négoce peut faire la réputation et la force d'une région, c'est à la production de faire celles de ses crus.