L'eau adoucie n'améliore pas les performances des fongicides. Lorsqu'on diminue les doses, on observe la même perte d'efficacité qu'avec des bouillies préparées avec l'eau du réseau.
De nombreux vignerons du Val de Loire, des Charentes et du Bordelais s'équipent d'un adoucisseur d'eau. Ils ont pour objectif de baisser significativement les doses d'application des produits phytosanitaires, afin de diminuer les coûts de protection. Selon les vendeurs de ces appareils, il est possible de protéger le vignoble en réduisant les doses homologuées par 2, 3, voire 4, selon les spécialités.
Un grand nombre de vignerons s'interrogent à juste titre sur le bien-fondé de ces arguments : d'une part, ils ne reposent sur aucun résultat expérimental émanant d'organismes sérieux ; d'autre part, la réglementation ne garantit l'efficacité des produits phytosanitaires qu'à leur dose d'homologation. On ne peut donc que s'inquiéter de pratiques visant à abuser de la confiance des agriculteurs. Les résultats présentés ici ont pour but de lever le doute chez ceux qui s'interrogent et d'alerter ceux qui réduisent les doses parce qu'ils préparent leurs bouillies avec de l'eau adoucie. Ces résultats reposent sur trois expérimentations réalisées sur deux domaines en 1999 dans le Val de Loire sur le mildiou, l'oïdium et la pourriture grise.
L'objectif de cette étude était de comparer des fongicides appliqués à leur dose homologuée et sous-dosés. Ces fongicides étaient préparés, d'une part, avec l'eau du réseau et, d'autre part, avec de l'eau adoucie. Pour compléter et homogénéiser la pression naturelle de mildiou et d'oïdium, nous avons réalisé des contaminations artificielles. En revanche, la contamination par la pourriture grise était naturelle.
Les fongicides ont été appliqués par pulvérisation pneumatique à volume réduit (100 l/ha) sur chaque face du rang central réservé aux notations et sur la face extérieure des rangs de bordure. Contre le mildiou, nous avons employé le Mikal Flash, contre l'oïdium le Microthiol Spécial Disperss, et contre la pourriture grise Switch et Sumisclex. La protection des trois expérimentations contre les ravageurs (tordeuses et cicadelles) a été faite avec l'Ekalux, par les vignerons avec leur matériel.
Prélevée sur le réseau intercommunal, l'eau a été adoucie à l'aide d'un adoucisseur de marque Protecal (1) modèle TCN type 21. Sa dureté (TH), initialement de 21,5, est tombée à 0,4 après traitement. Le pH de l'eau adoucie a été amené à une valeur de 5 par acidification avec de l'acide sulfurique, comme le conseillent les distributeurs d'adoucisseurs. Cette correction est ensuite vérifiée systématiquement dans la cuve du pulvérisateur à l'aide de bandelettes pH lors de chaque traitement.
L'efficacité des traitements antimildious a été jugée essentiellement sur grappes. Les résultats présentés ici correspondent à la notation faite le 7 août 1999, juste avant la véraison. A ce moment, les parcelles témoins non traitées avaient leur récolte pratiquement détruite. Dans ces conditions très sévères, le Mikal Flash, appliqué à sa dose homologuée (4 kg/ha) tous les 14 jours, réduit de 82 % le taux de grappes attaquées et de 99 % les dégâts moyens par grappe. En revanche, le même produit appliqué à la même cadence, mais à dose réduite de 1,5 kg/ha, présente une efficacité très médiocre et identique, que l'on utilise l'eau du réseau ou cette même eau adoucie.
La notation de l'essai antioïdum est effectuée le 29 juillet 1999, au stade pré-véraison. Cette date correspondait à la fin du développement de la maladie sur les grappes. Les parcelles témoins non traitées contre l'oïdium présentaient 100 % de grappes attaquées et 81 % de dégâts moyens par grappe. Dans ces conditions, le soufre mouillable, appliqué tous les dix jours, à sa dose homologuée de 12,5 kg/ha, présente une efficacité honorable. Néanmoins, le pourcentage élevé de grappes attaquées (68,5 %) met en évidence les limites de ce produit de contact. Comme avec les antimildious, la réduction des doses de soufre est extrêmement pénalisante. L'eau adoucie n'a apporté aucun effet bénéfique et aucune amélioration significative de l'efficacité du Microthiol Special Disperss, appliqué à la dose réduite de 3 kg/ha.
Quant à la pourriture grise, nous l'avons notée la veille de la récolte, le 21 septembre 1999. Les parcelles non traitées présentaient 96 % de grappes attaquées et plus de 38 % de dégâts moyens par grappe. Les traitements spécifiques antibotrytis comportent une application de Switch à 1,2 kg/ha à la chute des capuchons floraux (stade A), suivie d'une application de Sumisclex à 1,5 l/ha au début de la véraison (stade C). Ils présentent une efficacité conforme à celle obtenue dans de nombreuses expérimentations. La réduction de dose par 4 pour le Switch et par 7,5 pour le Sumisclex a fait chuter l'efficacité des traitements de façon significative, quelle que soit la qualité d'eau utilisée pour la préparation des bouillies.
Ces résultats nous conduisent à mettre sérieusement en garde les vignerons contre toute tentative de réduction des doses sous prétexte qu'ils utiliseraient de l'eau adoucie. Outre le fait qu'ils réaliseraient un investissement inutile en achetant un adoucisseur, ils risquent d'assister à la destruction de leur récolte en conditions de pression épidémique élevées.
(1) Adoucisseur non diffusé pour un usage agricole.