Les enquêtes parcellaires et les expertises se poursuivent pour tenter de comprendre ce qui s'est passé dans les vignes chlorosées cette année. On ne sait toujours pas quel rôle a pu jouer le flazasulfuron.
Trois mois après le jaunissement inhabituel des vignes, qui a touché plusieurs vignobles septentrionaux, personne ne sait encore expliquer ce qui s'est passé dans la plante, et quel rôle a pu jouer le flazasulfuron, matière active des herbicides Mission et Katana. En juin dernier, la vigne s'est mise à jaunir. Jusque-là, rien d'anormal. Cependant, cette chlorose, plus persistante que d'habitude, est intense. Elle apparaît souvent dans des parcelles considérées comme peu chlorosantes. Les vignes atteintes ont généralement plus de huit ans.La vigne a reverdi par la suite, mais dans certains secteurs, même s'ils restent en nombre limité, les dégâts sont graves. Les feuilles sont tombées, la récolte est maigre et les bois mal aoûtés. Personne ne peut dire comment la vigne se remettra d'un tel préjudice. En dehors de ces cas extrêmes, la vigne a, semble-t-il, repris le dessus. Les vignerons champenois crai- gnaient une perte de récolte importante, mais même si certaines caves disent aujourd'hui manquer de vin, la situation est moins grave qu'on le craignait. La maturité, en dehors des cas les plus graves, semble elle aussi correcte. ' Une chlorose classique n'a pas d'incidence sur la maturité, explique Laurent Panigaï, au CIVC (Comité interprofessionnel du vin de Champagne). Globalement, cette année, ce constat se vérifie. ' Pourtant, la chlorose fut persistante. ' Le déficit de l'activité photosynthétique a peut-être été compensé par une moindre pousse de la végétation et une meilleure distribution des assimilats, notamment vers les grappes ', poursuit-il. Sur les conséquences à plus long terme, Laurent Panigaï rétorque : ' Ce n'est que pure spéculation que de bâtir des suppositions sur l'an prochain. ' Quel fut le rôle du flazasulfuron ? Pour le CIVC, dans certains cas, l'herbicide a accentué la chlorose. ' La limite entre les zones vertes et les zones jaunes se faisait au couteau, explique un vigneron, et les secteurs chlorosés avaient reçu du flazasulfuron. ' Cependant, le flazasulfuron a été largement utilisé, et les problèmes ne se sont exprimés que sur une partie des zones traitées. Chez Zeneca-Sopra, tant que l'expertise judiciaire n'est pas terminée, on ne souhaite pas se prononcer sur le rôle éventuel du flazasulfuron, ni sur son devenir. La communication et les livraisons des herbicides ont été suspendues en attendant l'avis des experts judiciaires, qui devraient se prononcer au mieux à la fin de l'année, sinon l'an prochain. Plusieurs hypothèses existent. La vigne chlorose lorsque le sol est pauvre en fer, lorsqu'elle ne peut pas absorber le fer ou que celui-ci est dans la plante en quantité suffisante, mais qu'il ne peut pas remplir ses fonctions. Dans ces conditions, la vigne jaunit et son activité photosynthétique diminue. Certes, la récolte abondante en 1999, les pluies conséquentes en hiver et au printemps, et la pousse rapide au mois de mai ont favorisé la chlorose. Laurent Panigaï et Dominique Moncomble, au CIVC, précisent que des racines se sont retrouvées parfois dans un sol saturé en eau. Les nouvelles radicelles formées en surface ont tardé à se mettre en place. Dans ces conditions, la vigne n'a plus été alimentée en fer, et la circulation de la sève a été perturbée. Ce déficit d'activité racinaire pourrait expliquer les effets limités des apports de chélates. Mais quel rôle a joué le flazasulfuron dans ce scénario ? Les techniciens du CIVC expliquent que la partie supérieure du sol se réchauffe d'abord. S'il est humide, ce réchauffement est plus lent. Les racines superficielles entrent donc en action les premières. Dans les sols les plus humides, généralement argileux, ces racines superficielles se sont formées tardivement et ont alimenté une plante en pleine croissance ; dans les sols sur craie, qui présentent un meilleur pouvoir drainant, ou dans les sols moins arrosés, le système racinaire en profondeur est entré plus vite en action pour satisfaire les besoins de la vigne. Or, dans les dix premiers centimètres du sol se trouve le flazasulfuron. On sait que cette matière active est absorbée par la vigne qui la détoxifie. Dans les sols humides, habituellement peu chlorosants, elle aurait été absorbée plus massivement que d'habitude. La dégradation de cette molécule a alors peut-être perturbé indirectement le métabolisme de la plante. La mobilisation de molécules dans la dégradation de la matière active a peut-être fait défaut aux jeunes racines, qui doivent produire des acides pour absorber le fer du sol. Les techniciens du CIVC imaginent un autre scénario : le fer pourrait intervenir directement ou indirectement dans la dégradation du flazasulfuron. Mobiliser pour cette réaction, il aurait manqué à la plante. Une autre hypothèse consiste à dire que la vigne, chlorosante, aurait été affectée dans son processus de photosynthèse. Elle aurait alors disposée de moins d'énergie pour détoxifier le flazasulfuron qui aurait alors agi sur la vigne. D'autres imaginent une action dépressive du produit au niveau des pointes racinaires, l'absorption de fer étant alors bloquée. La migration du fer dans la plante a aussi pu être perturbée. Le fer n'est pas véhiculé par la sève brute sous forme libre, mais notamment sous forme de citrate. Les réactions de détoxification ont-elles gêné ce transport ? Les experts ne comprennent toujours pas pourquoi les problèmes se sont révélés dans certaines parcelles et pas dans d'autres. Ils sont également étonnés que ces problèmes ne se soient pas exprimés au cours des années d'expérimentation du produit. Est-ce bien la même molécule, la même formulation ? Zeneca-Sopra est catégorique : le produit fourni par ISK est bien conforme au cahier des charges. Ces sociétés, mais aussi le CIVC, ont réalisé des analyses pour voir s'il restait du flazasulfuron dans les vins. Sachant que cette molécule est absorbée par la vigne, quelques vignerons s'inquiétaient pour leurs vins. Les premiers résultats ne peuvent que les rassurer : le flazasulfuron ne laisse pas de résidus.