A la veille de la Révolution, environ 5 % de la production de la forêt française étaient utilisés pour conduire la vigne et cercler les tonneaux.
La vigne est une liane qui a besoin de support. La nécessité d'échalas en bois n'a fait que croître au cours des siècles, parallèlement à l'augmentation des superficies plantées. Le vignoble français atteignait 15,76 millions d'hectares (Mha) en 1788 et culminait à 24,65 Mha en 1874, à la veille de la grande invasion phylloxérique. Dans le même temps, la production atteignait respectivement 27,2 millions d'hectolitres (Mhl) et 84,5 Mhl.En choisissant un certain nombre de paramètres vraisemblables, il est possible de calculer la quantité de bois d'échalas et celle de bois de cercle nécessaires à échalasser la vigne et à réaliser les tonneaux d'une récolte. Plaçons-nous justement à la veille de la Révolution, à un moment où on manque de bois. Tablons sur une récolte moyenne de 30 Mhl et sur un vignoble de 1,6 Mha. Les trois quarts des vignes avaient besoin d'échalas. Ainsi les sarments ne cassent pas au vent et les grappes de raisin ne traînent pas par terre. Le quart restant concerne les cépages conduits en gobelets et dont les sarments sont taillés courts, comme le carignan en Languedoc ou le gamay en Beaujolais. N'oublions pas non plus que les ceps étaient beaucoup plus serrés qu'aujourd'hui. En choisissant 10 000 souches à l'hectare, on reste sans doute en dessous de la réalité. Augmenter cette densité conduirait à tailler plus d'échalas. Les échalas ronds, surtout de châtaignier ou de chêne, pouvaient être confectionnés avec beaucoup d'autres essences. Ils avaient le plus souvent 4 pieds 6 pouces de longueur (1,45 m) et un diamètre d'un pouce et demi (4 cm). Les échalas de quartier (bois fendu en quatre) étaient taillés dans un bois de 3 pouces (8 cm de diamètre), ce qui donnait aux deux types d'échalas une section identique pour une hauteur qui ne variait pas. Leur durée de vie était variable, de cinq ans pour le bois de saule à près de trente ans pour le bois de chêne. Mais il fallait les appointer régulièrement, ce qui diminuait peu à peu leur longueur et aboutissait à leur réforme. En tablant sur une durée moyenne d'utilisation de vingt ans, on reste certainement au-delà de la réalité. Avec 10 000 échalas à l'hectare et une durée de vie moyenne de vingt ans, c'est donc 500 échalas que le vigneron devait renouveler chaque année, sur 1,2 Mhl, soit 600 M d'échalas au minimum tous les ans, une véritable forêt. Le volume d'un échalas étant de 1,8 212 dm³, 1,093 Mm³ de bois taillis étaient donc nécessaires tous les ans. Pour cercler les tonneaux, on utilisait le châtaignier, bois qui se fend bien en deux ; avec un brin de 2 cm de diamètre, on faisait donc deux demi-ronds qui épousaient parfaitement les douelles. Pour lier un muid de 268 l, mesure du roi, il fallait 16 cercles de 9 pieds de longueur (2,90 m) qu'on resserrait tous les ans. Les cercles ne duraient pas plus de cinq ans. Comme il fallait 11,2 M de tonneaux pour loger 30 Mhl de vin, c'est donc des cercles pour 2,24 M de muids qu'il fallait fendre tous les ans, soit 16 318 m³ de bois. Il fallait aussi cercler les cuves, d'une capacité moyenne de 36 hl, qui nécessitaient 16 cercles de même section mais de 20 pieds de longueur (6,50 m). Les cercles pouvaient durer dix ans. Le calcul montre que pour cercler à neuf 55 000 cuves par an (un dixième du parc), c'est encore 898 m³ de bois qu'il fallait. Au total, les taillis devaient fournir annuellement environ 1,1 Mm³ de bois de châtaignier, un minimum absolu qui risquait fort d'être dépassé. A une époque où la forêt française, très sollicitée, produit annuellement 20 Mm³ de bois, c'est donc plus de 5 % de la production de bois qui était nécessaire pour le soutien de la vigne et le cerclage des vaisseaux vinaires. On verra qu'il fallait encore plus de merrain et de bois d'oeuvre pour les tonneaux, les cuves et les pressoirs.