L'amalgame entre le chianti classico et le chianti a banalisé la production viticole de la Toscane. Les producteurs italiens luttent pour remonter la pente.
Chianti. Ce nom a longtemps symbolisé à lui seul toute la production viticole italienne. ' C'est un vin connu dans le monde entier et sa commercialisation en est facilitée ', souligne Paolo Lazzeri, le directeur du syndicat du chianti.Mais profitant de cette renommée remontant à la Renaissance, de nombreux vignerons toscans ont pris l'habitude d'utiliser cette appellation, réservée à l'origine aux crus produits dans les collines s'étendant entre Florence et Sienne. Abus avalisés en 1967 et 1984 lors de la délimitation des aires d'appellation d'origine contrôlée (DOC et DOCG) qui englobent environ 24 000 ha sous l'appellation Chianti et 7 000 ha sous Chianti classico, le coeur historique de l'appellation. Atteignant 1,3 million d'hectolitres par an, uniquement en rouge, la production des 5 000 propriétés est majoritairement exportée. Il existe aussi autour du chianti une vingtaine d'autres appellations. La Toscane est la région d'Italie qui en compte le plus. Conséquence de sa dispersion, l'aire de production couvre des terroirs inégaux, donnant des vins de qualité très variable. Cela a conduit à une dépréciation certaine de l'appellation. ' Le chianti a son marché, mais il ne peut pas se vendre plus de 17-20 F la bouteille, prix départ ', note Allessandro Nieri, propriétaire du domaine Montellori, à Fucecchio (ouest de Florence). Du coup, il élabore ses meilleurs vins hors des règles de l'appellation : il ne se contente pas des cépages traditionnels autorisés (sangiovese, canaiolo nero, trebbiano toscan et malvasia chianti), mais y associe aussi le cabernet sauvignon et le merlot. Cela donne un équivalent des vins de pays de l'Hexagone... auxquels il réserve l'usage des fûts français ! Cette démarche n'a ici rien d'exceptionnel : ce type de vins, pour contrer la banalisation du chianti, a fait son apparition à la fin des années soixante-dix, on les appelle les ' super toscans '. Les producteurs installés dans le berceau historique de l'appellation, en chianti classico, oeuvrent depuis quinze ans pour lui redonner son lustre d'antan avec, notamment, une réduction du rendement autorisé (52,5 hl/ha contre 63 hl pour le chianti), une teneur naturelle en sucre plus élevée, une hausse de la densité de plantation (5 000 à 6 000 pieds/ha contre 3 500 pieds), et un allongement de la durée minimale d'élevage. ' Le changement le plus notable est que l'on accorde désormais une grande attention au vignoble alors qu'il y a encore dix-douze ans, tous les efforts étaient concentrés sur la cuverie ', affirme Stefano Porcinai, directeur technique du syndicat du chianti classico. Considéré comme l'un des meilleurs domaines de l'appellation, Fontodi (65 ha) a investi 12 millions de francs en 1998 pour édifier une cuverie ultra-moderne où le raisin progresse par gravité. ' Le sangiovese exige de la délicatesse ', estime Giovanni Manetti, son propriétaire qui possède un chai abritant 1 000 fûts. Produisant 300 000 bouteilles par an, il emploie trente personnes. Il participe au projet ' Chianti classico 2000 ', un programme de recherches initié en 1988, associant le syndicat aux universités de Pise et de Florence. Doté de 20 millions de francs, il vise à mieux connaître le sangiovese, des travaux qui suscitent beaucoup d'espoirs. Le volet promotionnel de l'appellation est dévolue à une structure baptisée Gallo Nero, financée par une contribution des adhérents de 40 centimes par bouteille. Cette politique porte ses fruits. ' Tous nos clients étrangers font la différence entre chianti et chianti classico, déclare Luigi d'Agnolo, le directeur de la coopérative Castelli del Grevepesa, qui commercialise les deux types de vins. Et si les deux se négociaient au même prix il y a dix ans, le chianti classico s'écoule aujourd'hui à 23-27 F contre 14-17 F pour le chianti. ' Les revenus s'améliorant, les vocations se multiplient. A tel point que depuis trois à quatre ans, de plus en plus de coopérateurs ou de simples apporteurs de raisins vinifient... Une situation bien différente à celle qui prévaut dans l'aire du chianti. ' Les jeunes sont peu enclins à prendre la succession de leurs parents, avoue Paolo Lazzeri. Si nous n'intervenons pas, cela peut devenir grave. Nous réfléchissons à la possibilité de gérer ou d'acheter les vignes abandonnées, voire d'aider des exploitants à les reprendre ', déclare Riccardo Rucci, responsable technique de la coopérative Leonardo, basée à Vinci. La raison de ce désintérêt ? L'étroitesse des propriétés (6 ha en moyenne) et la faiblesse des prix des vins, résultat d'une politique de banalisation. Prenant modèle sur leurs voisins, les producteurs de l'aire du chianti mènent eux aussi des initiatives sur les conditions de production, mais aussi en créant une appellation Chianti superiore et des sous-appellations correspondant à des entités géographiques plus cohérentes : elles ont pour noms Colli Senesi, Colli Aretini, Colline Pisane, Colli Fiorentini, Montalbano, Montesperoli, Rufina. ' Un rufina se vend au même prix qu'un chianti classico, affirme Paolo Lazzeri. Malheureusement, il manque encore une volonté commerciale forte pour faire connaître ces appellations : les assembleurs préfèrent un vin de masse, plus facile à écouler. '