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L'élévation des grands crus d'Alsace

La vigne - n°115 - novembre 2000 - page 0

Avec la gestion locale de leurs grands crus, les Alsaciens cherchent à établir les règles de production qui affirmeront l'identité de chacun de leurs cinquante terroirs les plus prestigieux.

'Il y a vingt-cinq ans, après la parution du décret instituant l'appellation Alsace grand cru, tout le monde s'est dit : 'on y est arrivé', rappelle Marcel Blanck, du domaine Paul Blanck, à Kientzheim (Haut-Rhin). Il s'en est suivi une période de léthargie dont nous sortons aujourd'hui. ' Deux cloches ont sonné le réveil. L'une s'est mise à tinter lorsque des leaders locaux ont fait la démonstration que les grands crus portent des vins à forte valeur ajoutée, à condition de suivre des règles de production draconiennes. La presse gastronomique n'a cessé de cogner sur l'autre en s'attaquant aux largesses des Alsaciens envers la délimitation et la productivité de leurs grands crus. Il était temps d'atténuer son vacarme.Depuis ce millésime, un nouveau décret fixe le rendement de base à 55 hl/ha et le rendement à butoir à 66 hl/ha. Le précédent texte prévoyait jusqu'à 84 hl/ha. ' Mais dans les conditions annuelles de production, nous n'autorisions que 66 hl/ha ', précise Jean-Paul Goulby, directeur de l'Association des viticulteurs d'Alsace (Ava). Le nouveau texte entérine donc un seuil en vigueur depuis plusieurs années. Par la même occasion, il interdit tout retour en arrière. De plus, il comprend une limitation inédite : pour un cépage donné, le rendement maximum est de 77 hl/ha. Cela réduit les possibilités de compenser la faible production de l'un des quatre cépages autorisés (gewurtraminer, pinot gris, muscat et riesling) par les excès d'un autre. Le décret relève également le degré minimal à la récolte et réduit la chaptalisation à 1,5 % vol. alors qu'elle était autorisée jusqu'à 2,5 % vol. Il impose à chacun de remplir une déclaration d'intention de production de grand cru avant le 1 er mars et d'en adresser un exemplaire à sa mairie et à l'Inao. Ce sont les dispositions les plus visibles et celles dont l'entrée en vigueur est immédiate. D'autres mesures ne se généraliseront qu'avec le temps, car elles mettent fin à l'application des mêmes règles à des terroirs très différents. Ce principe a cours depuis la création de l'appellation Alsace grand cru qui, bien qu'étant unique et donc régie par un seul décret, peut être revendiquée sur cinquante lieux-dits dispersés du nord au sud de la région. Avec le temps, ses limites sont devenues criantes. Il fallait l'abolir. ' Vous savez comment les choses se passent, explique Jean-Michel Deiss, du domaine Marcel Deiss, à Bergheim (Haut-Rhin). La règle commune, c'est le plus petit dénominateur commun. Le degré minimal retenu est celui obtenu sur le cru où la maturation est la moins bonne. Le rendement maximal est celui porté par le cru le plus productif. ' La gestion locale doit mettre fin à ce nivellement. Jean-Michel Deiss en est l'un des initiateurs. ' Il fallait sortir de l'énoncé minimal pour que chaque terroir puisse revendiquer sa différence. Or, qui peut faire ce travail, sinon les gens sur le terrain ? ' Les vignerons exploitant un lieu-dit sont donc appelés à en préciser les conditions de production. A eux de définir le plan d'encépagement de leur coteau afin de retenir le(s) cépage(s) qui s'y exprime(nt) le mieux. A terme, leur plan sera consigné dans un décret. Il pourra accueillir le pinot noir et peut-être même le sylvaner, à condition qu'ils fassent leurs preuves. Chaque année, les producteurs fixeront la date des vendanges, la richesse minimale en sucre et le niveau d'enrichissement autorisé. Ces décisions annuelles seront soumises au comité national de l'Inao afin qu'il les avalise. Cependant, leur règle d'adoption doit encore être précisée. Les questions de savoir si elles doivent être prises à l'unanimité ou à la majorité, uniquement par les exploitants ou avec les propriétaires d'un lieu-dit, n'ont pas été tranchées.Vu de l'extérieur, tout cela semble aller de soi. Il paraît normal que chaque grand cru soit régi par ses propres règles. Vu d'Alsace, c'est une petite révolution qui revient à restreindre le champ des possibilités. Sans doute est-ce la raison pour laquelle seuls trois accords de gestion locale ont été signés dès cette année. Deux d'entre eux ont été conclus sous l'impulsion de Jean-Michel Deiss, le troisième sous celle de Léonard Humbrecht, du domaine Zind-Humbrecht, à Turckheim (Haut-Rhin). Les deux premiers se rapportent à des lieux-dits de la commune de Bergheim : l'Altenberg et le Kanzlerberg. Le troisième est propre au Rangen, le coteau le plus méridional d'Alsace sur la commune de Thann. Les trois accords ont en commun d'être l'aboutissement de quelques années de discussions entre les intéressés. Tous ont été pris à l'unanimité des exploitants concernés. Tous limitent le rendement à 55 hl/ha, fixent des degrés minimums supérieurs à ceux prévus par le nouveau décret et interdisent la chaptalisation. Cependant, à Bergheim, les plans d'encépagement sont plus restrictifs qu'à Thann. Malgré ce démarrage qui paraît lent, Marcel Blanck, président de la section grands crus de l'Ava, est optimiste. Plusieurs dossiers sont bien avancés. Dans quelques grands crus, des chartes de production d'adhésion libre ont servi à amorcer la gestion locale destinée à s'imposer à tous les exploitants d'un lieu. ' Nous sommes dans un système d'ascension, affirme-t-il. Cet hiver, des discussions auront lieu dans tout le vignoble. Certaines aboutiront. Nous demandons aux vignerons de se mettre d'accord sur les conditions de production, mais aussi de déguster ensemble leurs vins afin qu'ils en définissent les caractéristiques. Ils connaîtront ainsi leur grand cru. Après, on pourra aller plus loin, en définissant les méthodes culturales, à savoir s'il convient ou non d'employer des herbicides, des engrais azotés ou des antipourriture. C'est à ce prix-là que nous retrouveront l'esprit de chacun de nos terroirs. ' Une autre question reste en suspens, celle du paiement des raisins. Coopérateurs et vendeurs réclament un relèvement des prix en contrepartie de l'acceptation de contraintes nouvelles. Or, bien des négociations butent sur ces questions tarifaires.

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