La teneur en arômes d'un vin de sauvignon peut-être prédite grâce à l'analyse des concentrations des principaux précurseurs dans les baies récoltées.
Longtemps après les arômes des cépages muscatés, ce sont ceux du sauvignon blanc qui ont suscité l'intérêt des chercheurs. Ils rappellent le buis, le genêt, le bourgeon de cassis, le pamplemousse et le fruit de la passion. Les chercheurs de la faculté d'oenologie de Bordeaux se sont penchés sur les molécules responsables de ces arômes et ont mis en évidence des thiols très volatils et odorants. Quatre molécules ont été identifiées, dont trois ont des seuils de perception très bas : la 4MMP (1) à l'odeur de buis et de genêt, le 4MMPOH (2) rappelant le zeste d'agrume, le 3MH (3) aux arômes de pamplemousse et de fruit de la passion, et A3MH (4) rappelant les arômes de buis et de fruit de la passion.Ces thiols sont également présents dans les vins de gewurztraminer, de muscat, de riesling, de colombard et de petit manseng, participant à leurs notes de fruits exotiques ou ' sauvignonées '. Ces thiols ont même été retrouvés dans le buis et le genêt, ce qui confirme les descripteurs utilisés empiriquement en dégustation. Cependant, ces thiols aromatiques sont quasiment absents des raisins de sauvignon. Ce sont leurs précurseurs que l'on peut trouver dans les baies. Les thiols sont issus de la dégradation de conjugués soufrés de la cystéine grâce à l'action d'enzymes levuriennes lors de la fermentation. L'amplification de l'arôme du raisin se réalise par la vinification. Pourtant, il est possible de les révéler en dégustant du raisin ou du moût de sauvignon : après quelques dizaines de secondes, ces arômes sont perceptibles. Une méthode d'analyse a été mise au point pour mesurer les concentrations en thiols directement à partir du raisin. On s'affranchit de l'action de la fermentation. Une première étape consiste en la libération des thiols par dégradation enzymatique des précurseurs. 20 ml de moût chauffé à 30°C passe au travers d'une colonne. Cette dernière a des parois contenant l'enzyme adéquate. La libération des thiols dure deux heures. Une seconde étape est nécessaire pour se prémunir des dérives dues à l'activité de l'enzyme. L'étalonnage de la réaction se fait avec un analogue deutéré du conjugué soufré de la cystéine. Autant dire que l'analyse est assez compliquée et très longue à réaliser. Ceci limite donc le nombre de déterminations à seulement quatre par jour. Cette mesure ne peut pas encore devenir une analyse de routine dans les laboratoires d'oenologie. Mais actuellement, elle peut servir ponctuellement pour déterminer si les conditions pédo-climatiques d'une parcelle de sauvignon sont propices à l'obtention de raisins typés. Une thèse vient d'être achevée à la faculté d'oenologie de Bordeaux au sujet de l'influence des conditions d'alimentation hydrique du cep sur la synthèse de ces précurseurs. Celle-ci établit le lien entre une légère contrainte hydrique et la présence d'une forte teneur en précurseurs, comme l'illustre l'infographie. D'autre part, la répartition des précurseurs dans la baie a aussi fait l'objet d'une étude. Durant le mûrissement de la baie, les teneurs en ces différents précurseurs dans la pulpe et dans la pellicule ont été suivies. On a observé que le précurseur du 3MH ne commence à être présent qu'après véraison. Les 4MMP et 4MMPOH sont présents dès le début de la véraison. A maturité, ces derniers sont situés à 80 % dans la pulpe, tandis que le 3MH à seulement 50 %, le reste des précurseurs étant dans la pellicule. La répartition des différents précurseurs entre la pellicule et la pulpe reste assez constante pendant la maturation du raisin. Le moût obtenu par foulage présente déjà ces trois précurseurs. Lors d'une macération effectuée à 18°C, leurs concentrations augmentent régulièrement. C'est la teneur en 3MH qui progresse pendant le plus longtemps. Ceci s'explique par sa présence principalement dans la pellicule. Deux terroirs des Graves ont permis de comparer l'évolution du potentiel aromatique du sauvignon pendant sa maturation. Un terroir est plus tardif (sable argileux sur dalle calcaire) tandis que l'autre est plutôt précoce (grave sableuse). Les trois précurseurs de thiols ont des teneurs qui évoluent différemment. L'évolution du pool aromatique confirme les nuances que l'on peut ressentir lorsque l'on déguste des raisins au fur et à mesure de leur maturation : la nuance buis apparaît précocement, tandis que le fruité est ressenti sur des baies plus mûres. Sur le terroir tardif, les baies contiennent des teneurs assez constantes en arômes. La date de récolte influe peu sur la quantité d'arômes du vin. Au contraire, sur le terroir précoce, les précurseurs disparaissent après une certaine date. La faculté de Bordeaux envisage de confirmer ces enseignements et d'approfondir les pistes d'études. Il s'agira d'établir les conditions idéales de culture du sauvignon pour obtenir un maximum d'arômes. Cette méthode de détermination du potentiel aromatique d'un raisin pourra éventuellement être transposée à d'autres molécules aromatiques issues d'autres cépages, même rouges. (1) 4-mercapto-4-méthylpentan-2-one. (2) 4-mercapto-4-méthylpen-tan-2-ol. (3) 3-ercaptohexan-1-ol (4) Acétate de 3-mercaptohexyle.