La maladie de Pierce est connue depuis longtemps en Californie (Etats-Unis). Ce qui l'est moins, c'est son nouveau vecteur, le ' glassy-winged sharpshooter ', une cicadelle au potentiel infectieux inquiétant.
La maladie de Pierce sévit en Californie depuis longtemps. A la fin du XIXe siècle, elle dévastait plus de 16 000 ha dans le comté d'Orange, au sud de cet Etat. Au cours du XX e siècle, les producteurs californiens ont essuyé plusieurs de ses assauts, mais cette maladie, pourtant grave, n'était jusqu'à présent qu'un souci relativement mineur. Les choses évoluent différemment depuis trois à quatre ans. La maladie de Pierce n'était pas un problème dans la région de Temecula, au sud de la Californie, où elle a été clairement identifiée seulement à partir de 1997. Aujourd'hui, elle touche près de 25 % de ce vignoble, qui s'étend sur environ 1 200 ha, causant près de 13 millions de dollars de dommages.Pourquoi une telle accélération ? La maladie de Pierce est due à une bactérie, Xylella fastidiosa qui, en se développant dans la souche, bouche les vaisseaux du xylème et provoque très rapidement, en un ou deux ans, la mort du cep. Jusqu'à présent, son principal vecteur dans les vignobles du nord de la Californie était une cicadelle répondant au nom américain de blue-green sharpshooter, qui la transmettait en se nourrissant sur les souches. Cet insecte reste cantonné à des zones assez humides. Ses vols de faible portée ne lui permettent pas de s'étendre beaucoup. De plus, il aime se nourrir sur les jeunes feuilles. S'il les contamine au cours de son repas, cette infection a des chances de disparaître avec la taille. Mais un nouveau vecteur est venu bouleverser une situation jusque-là supportable. Le glassy-winged sharpshooter (Homalodisca coagulata) a été introduit en Californie sans doute en 1989, avec des plantes venues du sud-est des Etats-Unis, région dont il est originaire. Un peu plus gros que le blue-green sharpshooter, il vole beaucoup plus loin. Autre particularité, il peut se nourrir et se reproduire sur de nombreuses plantes : la luzerne, les agrumes, les arbustes d'ornement, les arbres fruitiers, les avocats, les eucalyptus... La liste des hôtes potentiels compte plus de cent noms aujourd'hui. ' Où que vous vous trouviez dans une région infestée, partout où vous posez le regard, vous tombez sur une plante hôte, dont certaines font plus de 60 pieds de haut ', indique un commissaire agricole du comté de Sacramento (1 pied correspond à 30,48 cm). Malheureusement, dans cette longue liste figure la vigne. Pour ne rien arranger, cette cicadelle aime se nourrir à la base des sarments, assurant facilement la contamination de la plante entière. Pour l'instant, la présence de cet insecte n'est signalée que dans le sud de l'Etat de Californie, où il a déjà provoqué des ravages. Mais il inquiète les domaines installés plus au nord, dans les vallées de la Sonoma ou de la Napa, qui redoutent de le trouver un jour dans leurs parcelles. La bactérie étant déjà présente dans ces vignobles prestigieux, il ne faudrait pas longtemps au glassy-winged sharpshooter pour propager la maladie de Pierce de manière exponentielle. Les Américains n'ont pas envie que le scénario de Temecula se reproduise. Ils ont donc réagi très vite pour freiner l'extension de la cicadelle, et ont dépensé, à ce jour, près de 48 millions de dollars dans ce but. L'Etat de Californie est sous haute surveillance. Près des régions infestées, mais aussi près des zones résidentielles, où beaucoup d'arbustes d'ornement sont implantés, les agriculteurs surveillent la progression de ce ravageur à l'aide de pièges jaunes ou de filets. Les transports de plants, surtout en provenance des régions déjà contaminées, sont très contrôlées. Les transports de vendanges également. Un gros travail d'information et de formation est réalisé auprès du monde agricole, pour que tout un chacun puisse donner l'alerte en cas de découverte d'oeufs ou d'adultes.La lutte s'organise, mais les traitements insecticides et l'arrachage des pieds malades ne suffisent pas. La recherche avance. La solution pourrait être, à terme, l'obtention de plants génétiquement modifiés résistant à la maladie, mais ces travaux demandent plusieurs années. En attendant, il faut agir. Une petite guêpe, trouvée au Mexique, semble prometteuse. Elle pond ses oeufs dans ceux du glassy-winged sharpshooter. Des essais en cours vont évaluer ses capacités d'adaptation aux conditions californiennes. Le séquençage du génome de la bactérie avance. Une autre bactérie, transmise elle aussi par des cicadelles, semble capable de produire des substances toxiques pour Xylella fastidiosa dans les vaisseaux de la vigne. Des essais sont également menés pour évaluer l'intérêt d'utiliser du zinc, du manganèse, du cuivre ou du fer qui, in vitro, inhibent la croissance de la bactérie. ' Avec 3,3 millions de tonnes, nous avons eu une récolte record en 2000. La maladie de Pierce ne joue que sur 0,2 % de ce volume. Mais à cause de sa gravité, les producteurs ne veulent prendre aucun risque ', explique Gladys Horiuchi, du Wine Institute. Pierce est l'une des rares maladies viticoles que les Américains ne nous aient pas transmise, bien que l'alerte ait été donnée à la fin des années quatre-vingt. La Vigne titrait en mai 1990, ' Maladie américaine : le Pierce est à craindre '. Les chercheurs pensaient alors que la bactérie avait été introduite via l'importation de variétés de raisins de table. C'était une fausse alerte. Mais Denis Boubals, ancien professeur de viticulture à l'école supérieure agronomique de Montpellier, explique qu'il faut rester vigilant : ' C'est une maladie qui touche les arbres d'ornement, les arbres fruitiers... Elle peut arriver chez nous via des plants ramenés par des particuliers. Et on a une cicadelle, appelée communément le crachat de coucou, qui peut la propager. Selon certains, la maladie est déjà sur le continent. Elle serait au Kosovo, mais je ne crois pas que jamais quelqu'un ait vérifié cette information. ' Souhaitons, comme lui, que cette bactérie ne traverse pas l'Atlantique.