L'industrie viticole sud-africaine peine à rendre sa main-d'oeuvre compétitive. La situation héritée du passé pèse sur les employés, toujours maltraités, mais aussi sur les employeurs qui doivent faire face aux nouvelles lois sur l'emploi.
Le long de la route qui mène de Sommerset West à Stellenbosch, au coeur du vignoble sud-africain, on aperçoit derrière un grillage des petites maisons blanches aux toits en tôle : devant, des enfants métis jouent, assis dans la poussière. Ce sont les maisons des workers (ouvriers). Chaque propriété a son petit village de cinq à vingt bicoques, plus ou moins grandes, plus ou moins salubres. Ils sont en tout 350 000 personnes à travailler dans les exploitations. Pas un seul Blanc, que des Noirs et des métis, nombreux dans la région du Cap. Les conditions de vie varient du tout au tout, mais trop nombreux encore sont les propriétaires qui négligent leurs employés, comme au temps de l'apartheid.Entre deux rangs de vignes, deux ouvriers noirs occupés à effeuiller avouent n'avoir ni électricité, ni eau dans leurs baraquements. Leur master (maître) leur apporte de la viande deux fois par semaine et les emmène le samedi matin faire les courses, à l'arrière du bukky (camionnette). Les salaires sont très bas, de l'ordre de 200 F par semaine. Et il arrive encore, malgré l'interdiction, que les employés soient rémunérés avec de l'alcool ou du vin (tot system). L'Afrique du Sud renvoie une image terriblement archaïque et insupportable. Elle doit régler cette situation d'urgence si elle veut réellement être compétitive sur le marché international. Sa main-d'oeuvre a beau ne pas être onéreuse, elle est très peu qualifiée. ' Pour quinze employés par hectare en Afrique du Sud, on en trouve trois en Australie ', compare le directeur d'une société de négoce. La propriétaire d'une exploitation à Stellenboch avoue ' que c'est aberrant de forcer les propriétés à être des villages sociaux '. Ce qui ne l'a pas empêchée de créer une crèche et un centre médical. Licencier du personnel non compétent est un véritable calvaire qui finit par coûter cher. Et les lois votées par le gouvernement obligent les ' patrons ' à garder sur l'exploitation les ouvriers de plus de 60 ans ayant travaillé plus de dix ans. Devant cette situation, de nombreux producteurs pensent à la machine à vendanger et aux ouvriers à façon. Plusieurs ont même proposé des ' enveloppes de sortie ' à leurs employés.Avec des partenaires, le Bordelais Alain Moueix a créé, de toute pièce, un domaine à Sommerset West. D'emblée, il a employé des ouvriers de l'extérieur, mobiles, embauchés pour leur compétence. Mais l'industrie ne peut tout remettre à plat du jour au lendemain. D'autant qu'elle est entièrement responsable de cette manne plus ou moins productive : cette ' paternisation ' à outrance, issue de l'esclavage, existe depuis les premiers pieds de vignes plantés en 1650. Elle n'a fait qu'entretenir l'ambiguïté pendant les années d'apartheid. Différentes orientations, plus ou moins heureuses, se dessinent depuis les nouvelles élections, en 1994. Des producteurs ont choisi l'option médiatique, en annonçant qu'ils allaient ' donner des terres à leurs employés '. Mais si la formule séduit la presse et les chaînes de supermarchés britanniques, elle a du mal à se mettre en place, les ouvriers étant peu renseignés et formés pour gérer une entreprise eux-mêmes. Le système fonctionne : la société suisse Savisa a monté, avec les aides de l'Etat, une structure spécifique pour ses employés, mais ceux-ci restent totalement dépendants de leur employeur. Un véritable problème socio-économique : il ne s'agit pas seulement de coûts d'exploitation, mais aussi de responsabilité face à une population menacée par le chômage. D'autres producteurs, trop peu nombreux, n'ont pas attendu les changements politiques pour établir avec leurs employés des liens solides et sains, en les formant à la culture de la vigne et en les respectant comme leurs égaux. Grâce au Sawit (South African Wine Industry Trust), quelques lueurs semblent apparaître. Cette organisation issue de la ' privatisation ' de la coopérative KWV, à la suite d'un contrat conclu entre l'Etat et les 5 000 farmers (producteurs de raisins), a lancé depuis quelques mois des chantiers prometteurs : comme ces cours d'alphabétisation dispensés sur l'exploitation par des enseignants de l'Université du Cap, ou un projet dont le but est d'amener les employés noirs et métis à devenir, dans quelques années, propriétaires et gérants. Il ne sera mené à bien qu'à une seule condition : être rentable. En effet, la seule issue de la main-d'oeuvre sud-africaine sera de concilier l'amélioration sociale à l'efficacité économique. Pas facile.