En dédoublant le rideau de feuillage, des chercheurs suisses ont réussi à augmenter les rendements, sans pour autant nuire à la maturation des raisins.
L'aménagement des coteaux selon les courbes de niveau se heurte à un obstacle : plus ils sont raides, plus il faut de place pour tailler une terrasse ou une banquette. La densité de plantation diminue. Les rendements également. L'aménagement, destiné à lutter contre l'érosion, y perd de son intérêt.Les Suisses cultivent plus de la moitié de leurs vignes sur des pentes de plus de 30 % et rencontrent régulièrement cette difficulté. Afin de la contourner, la station fédérale de Changins a testé de nouveaux modes de conduite entre 1995 et 2000. Les chercheurs ont installé leurs essais dans une parcelle de merlot, implantée sur une pente de 65 % et palissée. Là, ils conduisent plusieurs rangs en leur accordant un double rideau de feuillage, l'un s'élevant, l'autre retombant vers le sol. Ayant plus de sarments, ces vignes portent plus de récolte. En moyenne, le rendement du témoin est de 10 000 kg/ha, celui des ceps à double rideau atteint 13 000 à 15 000 kg/ha.Malgré cela, on n'observe aucune dégradation de la maturation, au contraire. La richesse en sucre à la récolte est la plus basse avec le palissage traditionnel : 11,6 % vol. d'alcool probable (196,4 g/l de sucres). Elle est légèrement supérieure dans quatre des cinq modalités à double rideau, où elle s'établit entre 11,7 et 12 % vol. d'alcool probable (197,7 à 201,9 g/l de sucres). Les raisins témoins affichent aussi la plus haute teneur en acide malique. Les différences s'arrêtent là. Les chercheurs ont mesuré la même acidité totale et les mêmes niveaux d'acide tartrique dans toutes les situations. A la dégustation, aucune surprise. Comme le laissent entrevoir les contrôles de maturation, les vins sont équi- valents. ' Nous avons récemment redégusté tous les millésimes. Nous n'avons pas trouvé de différence marquée entre le témoin et les essais ', annonce François Murisier, l'un des auteurs de l'expérimentation. La qualité ne s'est pas dégradée parce que l'augmentation des rendements a été compensée par celle du feuillage. Mais ces résultats ont été obtenus dans la région très arrosée du Tessin. Il y pleut 1 700 mm/an en moyenne. De ce fait, les vignes connaissent rarement la soif, bien qu'elle poussent sur des sols sableux et très maigres. Dans des situations plus sèches, on peut redouter que l'augmentation de la surface foliaire se solde par une aggravation du stress hydrique et des blocages de maturité. Les vignes à double plan de palissage nécessitent plus de travail. Durant la période végétative, il faut guider et peigner les rameaux que l'on veut orienter vers le bas pour éviter qu'ils s'enchevêtrent. C'est l'opération la plus longue. Dans certains cas, il faut aussi passer plus de temps à ébourgeonner. Au total, les chercheurs ont compté 30 à 150 h supplémentaires, sans tenir compte du temps passé à récolter. En Suisse, cette surcharge est compensée par la hausse des rendements. Compte tenu du coût de la main-d'oeuvre et du prix du raisin chez nos voisins, le solde est positif d'au moins 10 000 CHF/ha (environ 43 000 F). La modalité la moins gourmande en soins est une forme particulière de la taille en Guyot double. Plutôt que les deux sarments à fruits soient attachés sur le même fil, donc dans le même alignement, ils sont à angle droit. L'un suit le plan de palissage, l'autre lui est perpendiculaire. Le premier donnera les rameaux ascendants, et le second les rameaux descendants. Sur cette modalité appelée Guyot double en angle, la taille et l'ébourgeonnage ne durent pas plus longtemps que dans le témoin. Au printemps et en été, il faut 20 heures de plus pour peigner les rameaux. En hiver, la fixation des sarments dure 5 à 10 heures supplémentaires. Au bout du compte, on récolte 30 % de plus que sur le palissage classique. Ce mode de conduite semble le mieux convenir aux cépages peu fertiles. Les autres supportent d'être formés en cordon. Afin de développer un double rideau de feuillage, les chercheurs suisses s'y sont pris de deux manières. Ils ont taillé une partie des ceps en conservant, la première année, deux bouts de sarments sur le cordon. En vieillissant, ils sont devenus autant de cordons secondaires d'où sortent les pousses dirigées vers le bas. Ces cordons sont attachés à angle droit du principal, de la même manière qu'en Guyot. Les autres ceps ont été conduits avec deux bras, l'un donnant la végétation montante, l'autre la végétation descendante. Le première solution représente une charge de travail légèrement inférieure à la seconde. La conduite en angle droit devrait donc se développer dans les pentes raides cultivées en courbe de niveau.