La protection du vignoble devrait pouvoir s'appuyer d'ici à quelques années sur une nouvelle stratégie : l'activation des défenses naturelles de la plante. Plusieurs équipes travaillent sur le sujet.
'En Europe, la vigne occupe moins de 1 % des surfaces cultivées et consomme à elle seule 30 % des fongicides. La tendance actuelle est à la recherche de solutions alternatives et complémentaires permettant de limiter l'utilisation de produits phytosanitaires afin, notamment, de préserver l'environnement et l'utilisateur ', rappelait Alain Pugin, de l'Inra de Dijon, coordinateur du projet de recherche sur les défenses naturelles pour le Réseau vignes et vins septentrionaux (RVVS), lors d'une matinée technique organisée par l'interprofession bourguignonne.Parmi ces solutions alternatives, l'une est déjà largement étudiée et répandue : il s'agit, dans le cas des parasites, d'utiliser des organismes antagonistes. Citons, par exemple, les phytoséides, prédateurs naturels des acariens phytophages. Autre piste : le génie génétique qui permet, une fois les gènes de résistance ou de défense identifiés, de les introduire chez les plantes sensibles. Compte tenu des fortes oppositions à la production de plantes transgéniques en viticulture, cette voie semble un peu en sommeil, en France tout du moins. Une autre solution consiste à activer des mécanismes de défense existant naturellement dans la plante. Dans cette optique, on ne combat plus l'agent pathogène, on aide la plante à s'en défendre. Fabienne Larronde, du laboratoire de mycologie et biotechnologie végétale de l'université de Bordeaux 2, a soutenu sa thèse en décembre 2000 sur ce thème. Lors de la journée technique organisée en janvier 2001 par l'interprofession bordelaise, la chercheuse présentait une partie de ce travail et rappelait le mécanisme d'une réaction de défense. Elle se déroule en trois phases. Dans un premier temps, la plante reconnaît l'agent pathogène grâce à différents composés qu'il libère. Ces éléments, appelés éliciteurs, activent des signaux d'alarme au sein de la cellule végétale. Trois types de molécules jouent ce rôle de messagers secondaires : l'acide salicylique, l'éthylène et l'acide jasmonique. Ces signaux stimulent alors l'expression de gènes de défense qui vont permettre, d'une part, le renforcement de la paroi des cellules végétales et, d'autre part, la synthèse de molécules de défense. Parmi ces molécules figurent les stilbènes, dont le plus connu est le resvératrol. L'équipe bordelaise a étudié la stimulation de la production de stilbènes par l'acide jasmonique sur des cultures cellulaires de vigne et sur des boutures fructifères en serre. On montre ainsi que la vigne répond à un traitement au méthyl jasmonate en augmentant la biosynthèse des stilbènes.Fabienne Larronde note aussi, sur les cultures cellulaires, que ' l'accumulation de stilbènes ne se fait pas aux dépens de celle des anthocyanes, bien que ces polyphénols aient des précurseurs communs au niveau de leur voie de biosynthèse '. Il reste maintenant à montrer que ces plantes traitées résistent effectivement mieux à des attaques d'agents pathogènes, comme l'oïdium ou le botrytis. D'autres travaux devront par ailleurs étudier l'impact de ce type de traitement sur le développement de la plante, la maturation, la concentration en sucres et en anthocyanes, les phénomènes de sénescence... En effet, il est impératif de s'assurer qu'un traitement à l'acide jasmonique n'a pas d'incidence négative sur le métabolisme général de la plante. L'équipe dijonnaise et le RVVS ont, quant à eux, davantage ciblé leurs différentes recherches sur l'identification d'éliciteurs. On a, par exemple, montré qu'il existe une souche de botrytis non pathogène pour la vigne et produisant une protéine capable d'activer les mécanismes de défense. Cette molécule est en cours de purification et d'identification. De nouvelles souches de botrytis ont été isolées dans le vignoble bourguignon afin d'y rechercher d'autres molécules élicitrices. Des travaux ont également été menés à l'Inra de Dijon et à l'université de Reims pour identifier et tester quarante molécules d'origine naturelle susceptibles de servir d'éliciteurs. Douze de ces molécules se sont révélées capables d'enclencher tout ou partie des réactions de défense. Il faut alors s'assurer qu'elles induisent effectivement une résistance de la vigne face à l'attaque de différents pathogènes. D'autres points doivent être précisés : à quel stade la vigne est-elle la plus réceptive et, donc, quand faire le traitement ? Pendant combien de temps la vigne est-elle protégée ?... Les essais au champ devraient apporter les réponses attendues. Il faudra aussi s'assurer que la modification du métabolisme de la plante n'a pas d'incidence quantitative ni qualitative sur la récolte. ' Nous aimerions enfin trouver des marqueurs spécifiques nous permettant de savoir si les mécanismes de défense ont été activés. Cela éviterait de traiter une vigne dont les défenses auraient déjà naturellement été stimulées ', ajoute Alain Pugin. Dans ce contexte, on comprend bien pourquoi il faudra encore quelques années pour mettre au point et commercialiser des produits. ' La stimulation des mécanismes de défense est un concept porteur mais complexe, qui demande encore beaucoup de recherche et d'expérimentation pour être bien utilisé. Il faudra aussi prendre en compte l'incidence des contraintes environnementales (température, humidité...) sur la relation plante-agent pathogène. Ainsi, ce qui fonctionnera dans une région pourrait très bien ne pas donner d'aussi bons résultats dans une autre ', prévient Alain Deloire, de l'Ensa-Inra de Montpellier.