Dix-huit producteurs provençaux se sont constitués en syndicat pour défendre le vin cuit, une spécialité abandonnée dans les années cinquante.
'Le vin cuit fait partie des festivités du Noël provençal. Il est servi sur les treize desserts et intervient dans le rituel de la cérémonie du feu, raconte Olivier Naslès, oenologue et président du syndicat des producteurs de vin cuit. Selon la tradition, on utilise du bois de cerisier pour faire le feu ; le plus ancien et le plus jeune de la tribu jettent le vin cuit dans l'âtre en prononçant la phrase : 'Allégresse, allégresse, mes beaux enfants que Dieu nous comble d'allégresse avec Noël tout bien vient. Dieu nous fasse la grâce de voir l'an qui vient. Et si nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins' ' (texte traduit du provençal).Ce produit typiquement provençal fait sa réapparition dans les caveaux de vente de la région. Sa production avait été suspendue après la Seconde Guerre mondiale. Apparenté à l'époque au régime fiscal des liqueurs, il était lourdement taxé, donc peu rentable pour les vignerons. ' La production a redémarré dans les années 70 sous l'effet d'un changement de statut, explique Grégoire Masse, auteur d'un mémoire sur le sujet. Les pouvoirs publics ont accepté de le tolérer en tant que vin de table. ' C'est la famille Salen, du domaine des Bastides, au Puy-Sainte-Réparade (Bouche-du-Rhône), qui lui a donné un second souffle en remettant la recette au goût du jour dans les années 80. Son nectar a remporté un franc succès et a franchi les frontières de l'Asie. Dans la foulée, d'autres vignerons ont décidé de perpétuer la tradition. ' Nous ne possédions pas de produit identitaire en Provence. Nous avions la chance d'avoir le vin cuit. Il était dommage de ne plus occuper le créneau, commente Olivier Naslès. Pour retrouver la méthode d'élaboration, il a fallu puiser dans les textes anciens. ' Elle consiste à faire cuire le jus de raisin dans un chaudron en cuivre ou en Inox, en utilisant une flamme directe durant 13 à 14 heures. Le jus est maintenu en dessous du seuil d'ébullition jusqu'à réduction de 30 à 60 %, suivant le degré du jus de raisin de départ. La fermentation s'effectue en fûts ou en cuves pour une période d'environ deux à trois mois. L'élevage dure ensuite une année. Les caractéristiques organoleptiques varient selon la cuisson et l'élevage. Les notes de pêches, d'abricots et d'écorces d'oranges évoluent avec le temps vers des arômes de coings, de fruits secs avec une légère tendance oxydative. Mais la pérennité de cette spécialité reste juridiquement précaire. Bien qu'assimilée au vin de table, elle ne répond pas à sa définition. ' Le titre alcoométrique volumique total du vin de table ne doit pas dépasser les 15°. Or, dans le cas du vin cuit, ce taux peut aller jusqu'à 20°, explique Grégoire Masse. Sa technique d'élaboration particulière l'empêche de rentrer dans les catégories établies par la réglementation européenne. Il court le risque d'une interdiction. ' En avril dernier, dix-huit producteurs du Var et des Bouches-du-Rhône ont constitué un syndicat pour défendre ce produit. Ils s'apprêtent aujourd'hui à déposer un dossier de demande d'accession en AOC vin cuit de Provence auprès de l'Inao. ' L'AOC permettrait d'encadrer et de développer les débouchés de ce produit ', indique-t-on. La commercialisation ne dépasse guère l'échelon local et se situe à un niveau confidentiel, environ 30 000 bouteilles par an (400 hl) vendues entre 48 et 50 F l'unité. ' Le vin cuit a sa place sur les grandes tables de la restauration ', ajoute-t-on. Une opération de promotion, autour de l'accord met et vin, est envisagée auprès des sommeliers. Il peut être dégusté en apéritif, mais il forme un excellent mariage avec des fromages de caractère comme l'époisses ou le munster. Il s'accorde également avec les desserts sucrés. Et c'est bien sa vocation initiale.