Avec de moins en moins de variétés américaines dans ses parcelles, le vignoble des Finger Lakes amorce un nouvel essor. Et l'explosion du marché américain lui promet un bel avenir.
Avec ses quatre vignobles (Finger Lakes, Long Island, Hudson Valley et Lake Erié) couvrant plus de 12 000 ha, l'Etat de New York est le deuxième producteur de raisins aux Etats-Unis. Issus majoritairement de variétés natives de Vitis labrusca (concorde, niagara, catawba, delaware) ou d'hybrides (aurore, baco noir, seyval), ces raisins donnent, pour les deux tiers, des jus de fruits. Le reste permet d'élaborer 100 millions de bouteilles de vin chaque année, pour un chiffre d'affaires dépassant 500 millions de dollars (3,5 milliards de francs). De ces quatre vignobles, les Finger Lakes s'affichent comme le plus prometteur. ' Avant la prohibition, la viticulture y était très importante ', explique Jim Trezise, président de la New York Wine and Grape Foundation.Mais la prohibition (1920-1932) a ' balayé la plupart des caves. Après l'abrogation, la production fut lente à redémarrer '. Le vignoble fut replanté avec des hybrides créés en Europe. Résistants au froid et au phylloxera, ils semblaient convenir à cette région aux hivers longs et rigoureux. Les vignerons ont longtemps pensé que la culture de Vitis vinifera y serait impossible. Il a fallu attendre l'après-guerre pour que le docteur Konstantin Frank, réfugié ukrainien, relève le défi. Le greffage et le buttage lui permirent de cultiver une soixantaine de variétés et de jeter les fondements de techniques viticoles, qui permettent aujourd'hui de cultiver les cépages européens. Aujourd'hui, le vignoble des Finger Lakes, installé sur des sols schisteux, couvre 4 000 ha répartis autour de quatre lacs (Canandaigua, Keuka, Seneca, Cayuga). Son encépagement est majoritairement constitué de natifs (60 %) et d'hybrides (20 %), donnant des vins de qualité médiocre, cultivés principalement par quelques grosses compagnies (Constellation Brands, Bully Hill). Mais grâce à 50 exploitations familiales produisant plutôt des vins de vinifera (riesling, chardonnay, gewurztraminer, cabernets franc et sauvignon, pinot noir), les Finger Lakes commencent à retenir l'attention. Les vignes sont plantées sur les pentes qui bordent ces lacs. Profonds, ils ne gèlent que rarement et leurs eaux adoucissent les températures extrêmes du climat. Néanmoins, les dégâts causés par le froid restent considérables : la vigne perd 30 à 50 % de ses bourgeons au cours de l'hiver. La prudence impose souvent un mode de conduite ' multitroncs '. La taille ne se fait qu'au dernier moment, à la mi-mars, après le comptage des bourgeons vivants. La période végétative de la vigne ne dure que 170 jours contre, par exemple, 230 jours en Bourgogne. Mais durant cette période, la quantité de chaleur disponible pour son développement est élevée : la somme des températures journalières (dépassant 10°C) entre le 1 er avril et le 31 octobre est de 1 330°/jour, contre 1 160° en Bourgogne. L'été indien permet une maturation plus longue et plus tardive des raisins. Les Finger Lakes sont déjà réputés pour leurs rieslings, dont la vivacité et les arômes (pêche, mangue, citron, notes florales et minérales) sont caractéristiques. Les autorités viticoles locales aimeraient maintenant associer un vin rouge à l'image de ce vignoble, mais les avis sur l'intérêt oenologique et économique des différents cépages divergent. Le pinot noir semble cependant remporter le plus grand nombre de suffrages. La ' Pinot noir Alliance ', qui regroupe une vingtaine de domaines, souhaite améliorer et développer la production de ce cépage. Selon Bob Madill, son président, son potentiel est énorme et ' l'enthousiasme qu'il suscite est justifié '. Quelques domaines se sont aussi lancés dans l'élaboration de mousseux par la méthode traditionnelle, parfois appelés ' champagne ', avec des résultats très satisfaisants. Mais coûteuse, cette production reste anecdotique. Il en va de même pour les vendanges tardives et les vins de glace. Cependant, ce qui frappe le visiteur arrivant dans les Finger Lakes, c'est le prix des bouteilles : 100 F en moyenne pour un vin de vinifera ! De tels prix ne se justifient pas encore par la qualité des vins, mais plutôt par l'expansion du marché américain. L'automne dernier, le riesling s'est vendu 9 F/kg, le pinot noir 10,50 F et le cabernet franc 12 F. ' Il y a peut-être 120 ha de riesling plantés actuellement, mais la demande en justifierait 300, explique Scott Osborn (Fox Run). Je pourrais vendre dix fois ce que je produis. ' Et il ne ment pas ! Depuis 1995, la production des petits domaines ayant choisi l'orientation vinifera/qualité augmente de 20 %/an. A Dr Frank Vinifera Wine Cellars, elle est passée de 900 hl en 1995 à 4 500 hl aujourd'hui. Ces domaines profitent du tourisme (plus d'un million de visiteurs par an) pour réaliser 50 % de leur chiffre d'affaires en vente directe. Le reste est écoulé dans les restaurants et les commerces de l'Etat de New York.Mais ce succès entraîne des dérives : augmentation des rendements, achat de vins produits à bas prix, en Californie par exemple, pour gonfler les volumes et les taux d'alcool (la législation permet aux bouteilles des Finger Lakes de contenir 25 % de vin produit en dehors de ce vignoble). A cela s'ajoute la méconnaissance et l'inexpérience de la main-d'oeuvre supposée qualifiée : filtration et sulfitage à outrance, ajout de sucre sur vin fini pour atténuer l'acidité, aromatisation... Les opportunités sont nombreuses pour les oenologues européens. Johannes Reinhardt l'a bien compris. Ce jeune Allemand est chargé de la production chez Anthony Road. Outre sa foi en les Finger Lakes pour produire de grands vins, il ne cache pas la principale raison de sa venue ici : ' Les salaires sont en moyenne deux fois plus élevés qu'en Europe '. Avec de réelles facilités et un potentiel qualitatif encore peu exploité, l'avenir s'annonce donc prometteur pour les Finger Lakes.