Retour

imprimer l'article Imprimer

archiveXML - 2001

Des producteurs français investissent à l'étranger

La vigne - n°123 - juillet 2001 - page 0

De plus en plus de producteurs français investissent à l'étranger. Accès au foncier, conditions de travail, facilités réglementaires... ils y trouvent plusieurs avantages. Mais il ne faut pas se tromper et être rigoureux : l'aventure a ses limites.

Sur l'étiquette, des poivrons rouges, rien que des poivrons rouges, et une inscription : ' aroma pimiento (red pepper) cabernet 2000 '. Sur la contre-étiquette, il est précisé que le nez est l'élément essentiel de la dégustation et invite à découvrir ce vin élaboré bien loin de chez nous. Une nouvelle idée (pimentée !) d'Estelle Dauré, PDG du château de Jau (côtes du Roussillon), du clos des Paulilles (Banyuls) et du mas Cristine (Rivesaltes), le tout dans les Pyrénées-Orientales. En 1997, elle a investi au Chili, avec ses parents et un ami de la famille. 60 ha ont été plantés et 40 autres le seront l'an prochain. La cuverie, un véritable objet d'art contemporain, vient d'être achevée. Las Ninas produit deux gammes de vins de cépages (cabernet, syrah, chardonnay) et un premium est prévu, quand la vigneronne ' maîtrisera ses vignes '.Pourquoi investir à l'étranger lorsqu'on a déjà trois domaines en France ? Les raisons sont multiples. ' En Hexagone, on ne peut guère dépasser le cap de la maison familiale. Pour des raisons fiscales, cela ne vaut pas le coup ', avoue-t-elle. En effet, s'il devient difficile de s'agrandir chez nous (prix des terres, fiscalité pesante...), il reste dans le monde des terrains exploitables, totalement vierges, où l'on peut planter sans contrainte, à condition d'avoir des plants et des clones de qualité. A moins de dégoter en Argentine, au Chili, en Afrique du Sud ou en Espagne, de vieux pieds de malbec, de merlot, de grenache ou de tempranillo... L'avantage dans ces pays-là : tout est permis, ou presque, de la vinification jusqu'au choix de l'étiquette. Il est attirant de pouvoir faire toutes les expériences possibles sans avoir à rendre de comptes ou à déclasser ses vins parce qu'on a voulu tenter une expérience de bâchage des vignes. En choisissant un pays étranger, ces Français retrouvent la sacro-sainte liberté de s'exprimer dans le vignoble comme au chai, loin du carcan administratif français. De plus, ' la France ne peut plus prétendre avoir la meilleure compréhension de la combinaison terroir/cépage ', constate le négociant Michel Chapoutier (vallée du Rhône) qui, intrigué puis convaincu par le potentiel de la syrah australienne, a déjà monté trois joint-ventures dans le sud de l'Australie. ' Le système de défiscalisation permet différents montages qui donnent la possibilité d'investir à des vignerons ayant peu de moyens ', explique-t-il. Dans dix ans, il compte faire de M. Chapoutier Australie, une société de la taille et de la structure de son entreprise française. Autre pays, autre projet. ' C'est l'attachement de mon mari à l'Espagne qui nous a poussés à faire du vin là-bas, raconte Brigitte Lurton (Gironde). Nous avons cherché des conditions de production qui nous plaisaient, avec l'idée de faire un grand vin blanc. Un jour, nous avons goûté le rueda (nord-ouest de l'Espagne) que faisaient nos cousins Jacques et François Lurton, à base de verdejo. Nous avons opté pour ce cépage, avec l'idée de le travailler différemment, en fûts. Nous avons d'abord acheté le raisin et loué une cave. A cette époque, nous déménagions tous les deux ans à cause de la profession de mon mari. Quant à moi, j'étais en plein problème d'indivision et j'avais besoin de trouver autre chose. Nous avons maintenant 50 ha de vignes, 25 ha à Rueda, 25 ha à Toro (appellation voisine), deux caves de vinification, et investi 10 MF environ. Depuis notre acquisition, le prix des terres à Toro a été multiplié par cinq en trois ans, et a doublé à Rueda. ' Le prix de la terre, encore très raisonnable dans ces régions émergeantes, permet en effet toutes sortes d'expériences en faisant une plus-value, plus ou moins importante selon la notoriété que prend le cru au fil des années. Avec, parfois, des situations extrêmes. Au Chili, les prix des vieilles vignes se sont envolés à Apalta, jusqu'à 200 000 $, selon Alexandra Marnier Lapostolle, qui s'est lancé en 1993 dans un joint-venture baptisé Casa Lapostolle. Autour de Santiago, l'inflation immobilière a fait exploser le prix de l'hectare. Paul Pontallier, le régisseur de Margaux (Gironde), a investi avec Bruno Prats dans Viña Aquitania, mais garde la tête froide : ' La plus-value foncière serait exceptionnelle si nous vendions. Mais nous préférons garder nos terres et continuer dans des conditions, il est vrai, plus que luxueuses... ' Si les situations varient d'un pays à l'autre et d'un cas à l'autre, les coûts de plantation et de production sont, finalement, à peu près les mêmes partout : l'équilibre se fait entre le coût de l'achat des terres, le besoin d'irriguer ou non (les puits peuvent être onéreux), la qualification de la main-d'oeuvre (dans certains pays, elle est bien plus onéreuse qu'on a voulu le faire croire), le prix du matériel importé... L'intérêt financier réside dans le potentiel de la vigne : ' En Argentine, on peut produire à l'hectare 30 % de plus qu'à Bordeaux en faisant la même qualité ', assurent tous ceux qui ont misé sur ce pays, à condition qu'il n'y ait pas de grêle... C'est ce rapport qualité/prix qui les a tentés. La liberté, l'exotisme, l'aventure, les expériences excitantes... Investir à l'étranger n'est pourtant pas qu'une partie de plaisir. ' On ne s'improvise pas vigneron du bout du monde, constate Paul Pontallier. Le pays de Cocagne n'existe pas. ' Pour Estelle Dauré, le problème numéro un, en viticulture, concerne la vigueur de la vigne : ' Aujourd'hui, on se cherche encore. Il est difficile d'affirmer que telle méthode est la bonne. Le plus dur est de maîtriser la plante et de trouver le juste milieu pour obtenir la maturité phénolique. ' Les règles standard n'existent pas et d'un pays à l'autre, les modes d'emploi peuvent être bouleversés : ' Un essai de 10 000 pieds a échoué chez des voisins, poursuit-elle. En fait, on pense que la bonne densité au Chili se situerait entre 4 500 et 6 000 pieds. Au-delà, on ne récolte pas... ' A Casa Lapostolle, on a eu du mal à exiger des ouvriers les vendanges en vert. Les habitudes ne sont pas les mêmes et la période d'adaptation, de la vigne comme des hommes, peut s'avérer longue et coûteuse. Quant à l'idée que les pays du Nouveau Monde offrent un climat idéal, c'est loin d'être le cas. Les endroits chauds nécessitent de l'irrigation, et les soucis climatologiques sont tout aussi présents : grêle en Argentine, vent sec au Maroc... Henry Marionnet, vigneron en Touraine, a failli investir au Brésil, mais il a arrêté à temps : ' Il faut être sur place ou avoir beaucoup de personnel compétent, car il est tout de même difficile de faire confiance. ' Certains producteurs français, forts de leur expérience dans les vignobles étrangers, ont décidé de pallier ce manque de confiance en organisant des ' investissements sur mesure ' à l'attention des vignerons qui souhaiteraient s'agrandir en achetant des vignes à l'étranger. Vista Florès a ouvert le pas, en Argentine. Cette société gère sur place 800 ha, de l'achat du terrain à la commercialisation du vin, pour le compte de vignerons qui continuent leur activité dans leur exploitation viticole en France. Michel Chapoutier prévoit lui aussi d'organiser ce type d'investissement, en Australie cette fois, où le potentiel est inestimable.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :