Les mannoprotéines sont un sujet inépuisable ! Celles libérées au cours de la fermentation par les levures peuvent avoir une incidence sur le pouvoir tannant des vins, à condition d'être en quantité et en qualité suffisantes.
Les mannoprotéines, c'est le sujet à la mode. Elles stabilisent le vin vis-à-vis des précipitations protéiques et tartriques ; elles augmentent la stabilité de la couleur et diminuent l'astringence des tannins ; elles jouent sur la volatilité des arômes, améliorent la finesse et la persistance des bulles des effervescents ; elles stimulent la fermentation malolactique. Mais cette famille est vaste, très vaste, et toutes les mannoprotéines sont loin d'offrir ces propriétés. De plus, celle qui joue sur un paramètre n'a pas forcément d'incidence sur les autres.
Les levures libèrent des mannoprotéines pendant l'élevage sur lies, mais également au cours de la fermentation alcoolique. Ces mannoprotéines sont des polysaccharides contenant une fraction protéique. Iolanda Rosi, à l'université de Florence, a comparé la quantité de polysaccharides libérée par plusieurs souches au cours de cette fermentation. Placées dans un moût synthétique qui en était totalement dépourvu, ces levures ont montré des performances bien distinctes. Seules, quelques-unes ont dépassé la barre des 100 mg/l : la BM 45, la S6U, la CY 3079, l'EC 1118, l'Uvaferm DGI 299, la Levuline BRG ou l'ICV D 254.
A l'Institut coopératif du vin, Dominique Delteil n'est pas étonné des performances de l'ICV D 254, sélectionnée justement parce qu'elle permet d'obtenir des vins plus ronds en bouche. ' Elle joue sur le volume, l'intensité tannique, dès les premiers jours de fermentation, y compris lors de cuvaison courte, explique-t-il, mais de nombreuses molécules jouent sur les sensations tactiles : les polysaccharides du raisin, les métabolites libérées par les bactéries, mais aussi de plus petites molécules, comme des composés d'arômes. Tout est une affaire d'équilibre. '
Cette production de mannoprotéines est très dépendante de la composition du milieu, de sa température. Il semble que plus la charge colloïdale du moût est faible, plus la levure libère des polysaccharides. La thèse que vient de soutenir Patrick Vuchot, à l'Inra de Montpellier, confirme l'importance du milieu. Dans ses conditions expérimentales, la quantité de polysaccharides produite au cours de la fermentation variait du simple au double en fonction des souches étudiées, mais ses observations ne concordent pas tout à fait avec celles de Iolanda Rosi. Il explique ces divergences par un milieu d'étude différent et l'utilisation d'autres méthodes analytiques.
Ces polysaccharides, produits en quantités distinctes, ne sont pas tous de même nature. Sandra Escot, qui poursuit sa thèse à l'Institut universitaire de Dijon, travaille sur la RC 212, sélectionnée pour sa capacité à préserver la couleur des vins rouges, notamment du pinot noir en Bourgogne, et la BM 45, issue d'un travail de sélection en Italie pour le Brunello di Montalcino. D'après Iolanda Rosi, la première produit deux fois moins de polysaccharides que la seconde, au cours de la fermentation. Sandra Escot a aussi montré que ces mannoprotéines n'étaient pas les mêmes.
Cette différence joue sur l'incidence organoleptique qu'elles peuvent avoir. Pour le montrer, Sandra Escot a isolé les mannoprotéines cédées par la RC 212 et celles libérées par la BM 45, puis les a ajoutées à un vin jeune de pinot noir non filtré à des doses de 100 et 200 mg/l. Différents indices montrent que les mannoprotéines libérées par la souche BM 45 réagissent, à concentration égale, plus fortement avec les composés phénoliques, permettant d'obtenir des vins moins astringents, dont la couleur est plus stable. ' On note une augmentation des complexes polysaccharides/tanins et des anthocyances combinées ', indique Sandra Escot. Les polysaccharides viendraient ' enrober ' les tanins, évitant que ceux-ci ne forment des agrégats de plus en plus gros, qui finiraient par précipiter. Ce phénomène serait associé à une sensation de rondeur et de volume en bouche.
Ces résultats confirment les observations de terrain avec, en dégustation, des vins jugés moins astringents. Mais les écarts entre les souches diminuent au cours de l'élevage sur lies fines. ' La BM 45 permet de proposer des vins plus rapidement sur le marché, qui développeront de la rondeur dès les premières phases de vieillissement, alors que la RC 212 est mieux adaptée à l'élaboration de vins de plus grande garde ', estime André Fuster, chez Lallemand.
Les mêmes essais comparatifs sont en cours à Madiran, afin d'apprécier l'effet levure sur un élevage long. Après six mois, comme après trois mois, le lot RC 212 est jugé plus astringent, avec des tanins plus durs. A l'analyse, il montre un pouvoir tannant plus important, alors que l'indice d'ionisation, qui traduit la stabilité de la couleur, et l'indice d'éthanol, qui augmente avec le niveau de combinaison polysaccharides/tanins, sont supérieurs avec la BM 45. En revanche, l'écart colorimétrique global, à l'avantage de la BM 45, tend à diminuer avec le temps. D'autres analyses auront lieu après douze et dix-huit mois d'élevage.
En Beaujolais, la BM 45 a été comparée à la 1515, ou RB 2. Mais les résultats obtenus avec les crus sont plus complexes à analyser, car selon les modalités de vinification, les résultats sont en faveur de l'une ou l'autre !