Dans le Coonawarra, en Australie méridionale, la mise en place de l'indication géographique, une démarche pionnière dans ce pays, suscite des convoitises de la part des viticulteurs de cette petite région viticole et des alentours.
Située à 400 km au sud-est d'Adélaïde, à l'extrême sud de l'Australie, le Coonawarra est certes une petite bande de terre (15 × 3 km) mais on y produit parmi les meilleurs vins du pays. On y compte quelque 300 habitants et une trentaine de domaines viticoles, dans une région si plate que le moindre relief prend vite des allures imposantes. La production de raisin atteint 22 000 t environ, soit moins de 5 % du total de l'Australie méridionale qui, elle-même, représente 42 % de la production australienne.
C'est ici que l'on trouve les plus belles vignes de cabernet sauvignon du pays, ainsi que du schiraz (la syrah) pour les rouges, du chardonnay et du sauvignon pour les blancs. Mais la spécialité de la région reste les vins rouges de qualité. La réussite régionale a encouragé les plantations de vignobles aux alentours de la bande initiale, sur des terrains a priori analogues et où les caractéristiques climatiques sont sensiblement les mêmes. Cela explique l'envie farouche des viticulteurs de la région de défendre l'identité viticole du Coonawarra.
La mise en place de l'indication géographique devrait le permettre, mais la définition des limites de la région est sujette à de nombreuses polémiques. Certains sont partisans d'une limitation stricte sur la bande de terre originelle. A la propriété Penley Estate, Kim Tolley s'indigne : ' Nous sommes au coeur du Coonawarra depuis plusieurs générations et nous devons lutter contre tous ceux qui tentent d'usurper le nom de la région. ' D'autres, situés en dehors de cette bande de terre mais avec, estiment-ils, la même nature de sol et le même climat, revendiquent le droit d'inscrire le nom de Coonawarra sur les étiquettes...
Comme l'explique Peter Dry, professeur de viticulture à l'université d'Adélaïde, ' le problème du Coonawarra, c'est que l'on ne peut pas exploiter le critère de l'altitude, largement utilisé pour délimiter les autres régions, car il est situé dans une plaine '.
La délimitation s'annonce donc difficile, d'autant qu'à la suite de la délimitation provisoire proposée en avril 1997 par le Comité des indications géographiques, 46 viticulteurs ont fait appel pour l'agrandissement de la zone. La révision de la délimitation provisoire a commencé en février 1999 et la décision finale a été prise en mai 2000, augmentant la surface de la région. .. Mais certains ont fait une deuxième fois appel et, actuellement, la question est toujours en suspens.
Le Coonawarra forme aujourd'hui une région de 230 km². Si tous les appels sont accordés, cette zone pourrait alors représenter 1 200 km²... La majorité des points de désaccords tourne en fait autour des terres noires et de la terra rossa qui composent les terrains du Coonawarra. En effet, Paul Gordon, viticulteur chez Wynns Estate (appartenant au géant Southcorp Wines), explique : ' Cette terra rossa, que l'on dit souvent typique au Coonawarra, se retrouve dans d'autres sites, à l'extérieur du Coonawarra traditionnel. De plus, les terrains comportent aussi des terres noires, qui ont des propriétés différentes de la terra rossa. ' Voilà pourquoi il semble difficile de délimiter le Coonawarra, dit traditionnel, par le terrain.
Cette idée fausse que la terra rossa serait typique et unique au Coonawarra tient certainement au fait que la région est l'une des premières à mettre en avant la notion de terroir dans la viticulture australienne et à décrire les sols sur les étiquettes à des fins promotionnelles. Dennis Vice, petit propriétaire de Highbank Wines, explique l'importance qu'il accorde à décrire son terroir et la magie de ' Highbank ' : ' C'est le nom d'une des parcelles de l'exploitation, l'une des plus vieilles et des plus riches en terra rossa du Coonawarra '.
Voilà donc une région pionnière d'Australie où les viticulteurs font la promotion d'une alchimie entre le terrain, le climat, les cépages, le savoir-faire traditionnel. On est loin de l'image traditionnelle des vins de cépages...
La production est hautement mécanisée avec l'utilisation des technologies de pointe. Chez Wynns Estate, on établit des cartes de rendements par pied que l'on combine avec des cartes de sols afin d'adapter l'irrigation à chaque pied... L'irrigation est en effet quasi-omniprésente, même si dans le Coonawarra, le climat est relativement frais avec la proximité de la mer, entraînant un mûrissement plus lent des raisins et une meilleure expression aromatique.
Les résultats sont souvent des vins rouges de qualité : le cabernet sauvignon, seul ou en assemblage avec le shiraz, donne d'excellents résultats, qui se rapprochent du ' style Médoc ', voire des vins californiens : souvent structurés et fortement charpentés, ils ont en plus une légère saveur d'eucalyptus. L'élevage a lieu sous bois, souvent dans du chêne importé de France ou des Etats-Unis. Pour un cabernet, les prix vont de 65 à 140 F la bouteille. La région produit aussi des blancs, savoureux et fins, un peu moins réputés, à base de chardonnay ou de sauvignon. Leur prix varie de 60 à 120 F la bouteille.
Le prestige de la région explique l'importance de l'enjeu représenté par l'indication géographique. Malgré cela, en Australie, pour beaucoup de viticulteurs et de spécialistes comme Peter Dry, ' la mise en place de ces indications géographiques ne doit pas être un premier pas vers un système d'AOC à la française '. Sous-entendu : cela constituerait un frein à l'innovation et à l'expérimentation...