Les dépôts de bilan pour les vignerons sont rares. Mais avec les difficultés actuelles, certains s'inquiètent davantage. Des mesures sont à prendre pour se prémunir.
Devant leur nombre croissant, le législateur a mis en place, en 1988, une loi spécifique pour la prévention et le traitement des exploitations en difficulté. A l'époque, le monde viticole s'est sans doute senti moins concerné par cette loi. Pourtant, les gelées conséquentes, les impayés et peut-être maintenant la mévente des vins ou le maintien d'un cours anormalement bas doivent sensibiliser les vignerons aux risques économiques pouvant en découler.
Quand le danger devient réel, le souci est de protéger son patrimoine. Certains imaginent alors de changer de régime matrimonial, de faire une donation ou de constituer une société, de brader les stocks, de payer certains créanciers plutôt que d'autres... Si l'un ou l'autre de ces actes peut répondre à certaines préoccupations, pris tardivement, leurs effets risquent d'être anéantis. D'une part, ces actes doivent être réfléchis, préparés, voire validés par un tribunal. Cela prend du temps. D'autre part et, surtout lors d'un dépôt de bilan ultérieur éventuel, le juge-commissaire peut faire remonter la cessation des paiements jusqu'à 18 mois avant le jugement d'ouverture : il devra déterminer le moment où il est devenu impossible, pour le vigneron, de faire face au passif exigible avec son actif disponible.
Cela a pour conséquence d'amener le juge à annuler les actes passés pendant cette période parce que pris, bien évidemment, sans son autorisation et surtout au détriment des créanciers. Il en sera ainsi, par exemple, d'une donation faite en pleine propriété ou avec une réserve d'usufruit, ou d'une vente à réméré, c'est-à-dire avec la possibilité irrévocable de redevenir propriétaire du bien aux termes d'un délai fixé et sous certaines conditions. Le juge annulerait aussi un bail, un prêt à usage ou commodat, ou même une vente de stock de vins inhabituelle quant à sa période, sa quantité ou son prix parce que suspicieuse. Enfin, la constitution dans l'urgence d'une société d'exploitation pourrait de surcroît engendrer des conséquences graves au point de vue fiscal, notamment si elle n'était pas bien maîtrisée.
L'organisation, son insolvabilité dans ces conditions, pourrait même faire prononcer la liquidation judiciaire personnelle du chef d'exploitation, gérant de sa société, pour avoir commis une faute de gestion par la réalisation de l'un ou l'autre de ces actes. Il faut donc agir tôt, dès le début de son activité.
Préserver le patrimoine que l'on affecte à son activité professionnelle est une règle essentielle. La première précaution consiste à réfléchir à la nécessité d'établir un contrat avant de s'engager dans les liens du mariage. Avant de passer devant le maire, il est intéressant de passer chez son notaire pour lui poser les bonnes questions. En fonction du travail en commun ou non des deux époux, des projets familiaux et professionnels de chacun d'eux, il conviendra d'adopter le régime d'une communauté particulière ou de la séparation de biens. Dans ce dernier cas, il y aura en principe une parfaite étanchéité entre leur patrimoine : la liquidation judiciaire de l'exploitation de l'un ne pourra pas affecter les biens de l'autre.
La dissociation entre le patrimoine foncier et celui du travail doit être réalisée en constituant une société d'exploitation. Les bâtiments d'habitation, les hangars, les chais, les terres et les vignes relèveront des biens privés et seront exploités au moyen d'un bail à ferme au profit de la société. Celle-ci détiendra le matériel de culture et de vinification, les stocks de produits et de vins. Il s'agira d'un Gaec (Groupement agricole d'exploitation en commun), d'une SCEA (Société civile d'exploitation agricole), ou d'une EARL (Exploitation agricole à responsabilité limité).
Ces sociétés relèvent toutes de règles identiques provenant du droit civil parce qu'elles n'ont pas d'activités commerciales. La vente du vin de la propriété, même en bouteilles, est une activité agricole. Cependant, chacune se distingue par un régime propre relatif à la responsabilité financière de ses membres. Les associés d'une SCEA sont tenus solidairement sur leurs biens personnels des dettes de la société excédant son actif. Les membres d'un Gaec n'y seront tenus qu'à hauteur de deux fois leur participation dans le groupement.
Depuis de nombreuses années, le monde juridique s'interroge sur la nécessité de cerner la responsabilité d'un exploitant agricole aux seuls biens d'exploitation.
Entre patrimoine d'affectation et société à responsabilité limitée, c'est la deuxième notion qui l'a emporté. La loi de 1985 a mis en place le régime juridique de l'EARL avec, comme particularité, la possibilité de constituer cette société avec un seul associé. Les créanciers de l'EARL ne pourront jamais poursuivre le ou les associés sur leur patrimoine personnel, sauf en cas de faute de gestion du gérant ou d'obtention préalable d'une caution de l'un ou l'autre des associés.
Rappelons cependant deux points. Le premier est que le cautionnement, souvent incontournable, ne jouera qu'en faveur du créancier auquel il a été consenti. Le second, c'est que seuls les biens sociaux seront appréhendés par les créanciers dans la mesure où ils n'auront pas été surévalués lors de leurs apports à l'EARL. La meilleure preuve consistera à effectuer une expertise au moment de la création par un commissaire aux apports qui établira un rapport. En principe rendu obligatoire par la loi de 1985, ce rapport est de plus en plus évité en raison des frais qu'il occasionne.
Mais la sécurité n'a pas de prix. Il ne faut jamais occulter le fait qu'une exploitation viticole rencontre des difficultés pouvant engendrer un dépôt de bilan et, à l'extrême, une liquidation judiciaire. Se prémunir suffisamment tôt contre ce risque est un acte de bonne gestion. En outre, la loi de 1988 a créé le principe d'une commission départementale des agriculteurs en difficulté, à laquelle le vigneron recourt pour effectuer un audit et obtenir, sous certaines conditions, des aides et une assistance. Elle a également retenu le principe du règlement amiable entre l'exploitant et ses principaux créanciers, sous réserve de ne pas être déjà en cessation de paiements. Après, il sera bien tard. Alors, les prévoyants aux réactions précoces se relèveront, en général, mieux et plus vite que les autres.
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