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Une étude alarmante

La vigne - n°125 - octobre 2001 - page 0

Des analyses démontrent l'exposition des applicateurs d'arsénite de sodium

Ce n'est un secret pour personne, l'arsenic est un poison. Il est également cancérigène. Sa toxicité va d'une simple irritation des muqueuses ou de la peau à des cancers bronchopulmonaires, cutanés ou hépatiques, reconnus comme maladies professionnelles, et prises en charge jusqu'à quarante ans après l'exposition.
Tout cela est connu. Alors pourquoi interdire aujourd'hui un produit qui devait passer à la trappe dans deux ans ?
Une étude, menée par Frédérique Brunner et les services médicaux de la MSA, est à l'origine de cette précipitation. Elle conclut qu'il est pratiquement impossible, dans les conditions de la viticulture, d'éviter les contaminations de l'applicateur. Elle a étudié dans l'Hérault quatre groupes de personnes. Le premier (groupe 1) était constitué de quinze salariés d'entreprises de travaux agricoles (ETA) ou de Cuma. ' Les vignerons sous-traitent de plus en plus les travaux. Une telle évolution a, en partie, motivé ce travail, faisant de ces salariés des personnes particulièrement exposées ', explique le docteur Jean-Pierre Grillet, à la MSA. Le groupe 2 rassemblait seize utilisateurs temporaires d'arsénite, comme des exploitants traitant leurs propres parcelles. Le groupe 3 réunissait des opérateurs qui n'appliquent pas le produit, mais interviennent sur la vigne après le traitement d'hiver, pour attacher les baguettes. Enfin, le groupe témoin était constitué de quinze personnes sans contact avec l'arsénite, mais habitant les mêmes villages que les professionnels suivis.
Ces personnes expliquent dans un questionnaire leur manière de travailler et de se protéger. Elles ont aussi réalisé un prélèvement d'urine le lendemain du dernier jour de traitement. ' L'absorption de l'arsenic est principalement digestive, son élimination est urinaire ', explique Frédérique Brenner. Mesurer le taux d'excrétion de l'arsenic et de ses dérivés dans les urines des utilisateurs permet donc d'évaluer l'exposition de chacun d'eux. Une telle étude avait déjà été menée à Bordeaux dans les années quatre-vingts mais, à l'époque, on ne savait pas doser tous les dérivés de l'arsenic, et les conclusions avaient été rassurantes.
Le taux d'excrétion d'arsenic inorganique et de ses dérivés est exprimé en microgrammes par gramme (µg/g) de créatinine. ' Bien qu'une exposition acceptable soit une notion controversée pour un cancérogène, il existe un indice biologique d'exposition à l'arsenic. Sa valeur limite a été fixée à 50 µg/g de créatinine en France et à 35 µg/g aux Etats-Unis. Mais pour un cancérogène, ces valeurs nous paraissent trop élevées. Le seuil de 10 µg/g semble être la référence ', poursuit Jean-Pierre Grillet.

Neuf des quinze personnes du groupe 1 dépassent le seuil français. Celle qui présente le taux d'excrétion le plus important conduisait un tracteur équipé d'une cabine, portait des gants et une combinaison. Dans le groupe 2, cinq personnes sont dans le même cas et onze dépassent le seuil de référence. Enfin, l'un des lieurs de baguettes présente un taux voisin de la limite française.
Contre toute attente, ces résultats ne sont pas corrélés au niveau de la protection des applicateurs. ' L'utilisation de tracteurs avec cabine et filtre nous semblait, associée à des mesures individuelles, le moyen de protection le plus sûr ', écrit Frédérique Brenner. Or, cette étude prouve qu'il n'en est rien.
D'autres travaux montrent qu'après une seule journée de traitement, beaucoup de produit se retrouve sur le pulvérisateur, mais aussi sur les protections individuelles des applicateurs. ' Tout contact main-bouche peut engendrer une contamination, souligne Jean-Pierre Grillet. Il faudrait se laver les mains après chaque manipulation et décontaminer le matériel après un traitement. En fait, il faudrait une logique de bloc opératoire pour éviter tout contact avec le produit ! '
' Lors de cette étude, on a découvert des choses auxquelles on ne pensait pas, explique Jean-Marie Villaret, qui a créé avec Alexandre Garrad dans l'Hérault, une ETA : par exemple, lors de certains gestes ou mouvements, il y a contact avec le produit. '
' Que fallait-il faire une fois ces conclusions connues ? Se taire et attendre 2003 ? Impossible ! lance Jean-Pierre Grillet, qui rappelle la réglementation encadrant l'exposition des salariés aux produits cancérogènes. L'em- ployeur doit chercher une méthode de substitution. A défaut, le produit sera utilisé en vase clos. Si c'est impossible, il faut alors employer des équipements de protection qui ont démontré leur efficacité. ' Cette étude prouve que dans le cas de l'arsénite, les protections n'évitent pas la contamination. Le consensus qui existait sur ce cancérogène a alors volé en éclats.

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