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Inde : le savoir-faire français sous les tropiques

La vigne - n°127 - décembre 2001 - page 0

L'Inde compte une quinzaine de producteurs de vins pour un volume avoisinant les 320 000 hl en 2000. Sa production est très inégale, souvent industrielle, allant du bas de gamme issu de raisins de table aux cuvées élevées en fûts de chêne. Deux leaders se distinguent.

Avec un milliard d'habitants, l'Inde est le deuxième consommateur d'alcool au monde. Environ 30 millions d'hectolitres de boissons alcoolisées se vendent chaque année ! Tout autour de Bangalore (sud du pays), les pergolas et autres vignes hautes se succèdent le long des routes. Poussant sans arrêt, stimulées par un climat tropical, elles peuvent donner jusqu'à 100 tonnes de raisin à l'hectare !
La province du Karnataka est l'une des principales zones de production avec le Maharashtra, un Etat voisin, plus au nord. Les volumes sont énormes, difficilement quantifiables ; une partie est vendue à quelques-unes des trois mille distilleries du pays pour élaborer des brandies. Ces raisins seront également exportés vers l'Etat de Goa, au nord-ouest de Bangalore, pour produire le ' porto ' (1) local. L'ancien comptoir portugais ne cultivant plus de vignes depuis une trentaine d'années, il ne reste plus de son passé colonial que quelques ' portos ' de basse qualité, comme le fameux Port Wine n° 7, le plus populaire en Inde, fabriqué par Nita Industries, à Goa. Dans ce pays, inutile de chercher un petit producteur exotique aux méthodes hors d'âge : ici, la fabrication est industrielle. Ainsi, Nita Industrie et Costa & Co commercialisent, chacun, plusieurs milliers de bouteilles de ' porto ' par an.
Sur les quinze producteurs recensés en Inde, seuls deux hommes d'affaires passionnés par les vins français ont su développer une viticulture influencée par les méthodes hexagonales. Créé en 1989 par Kanval Grover, Grover Vineyards est l'un d'eux. Juché sur un plateau à 1 000 m d'altitude, à 40 km au nord de Bangalore, il est parmi les plus méridionaux de notre hémisphère, situé à seulement 13° de latitude nord (sur le même parallèle que le Burkina-Faso, le Sénégal ou les Antilles). Pour assurer son développement, Grover Vineyards a partagé 20 % de son capital avec Veuve-Clicquot (champagne), s'est attribué les conseils de Michel Rolland, oenologue bordelais, et a recruté Bruno Yvon, ingénieur agronome diplômé de Montpellier (Hérault), qui supervise la production locale.

Fin avril, la vendange est rentrée. Dans le chai que l'on croirait transplanté directement de France, l'atmosphère est humide mais pas trop chaude. Un employé prépare le pressoir Vaslin, un autre nettoie le sol avec une raclette et un jet d'eau. Dans les cuves en Inox ' made in India ', le moût commence à fermenter. Bruno Yvon le surveille. ' Ici, nous n'avons pas trop à nous plaindre du climat. Tous les ans, nous retrouvons les mêmes conditions ', commente-t-il. Seul bémol : avec ce climat tropical, la vigne ne cesse de pousser et produit une seconde vendange en septembre, après la mousson. ' Mais nous n'utilisons plus cette dernière, car cela fatigue trop la vigne. Nous préférons limiter au maximum les rendements ', continue Bruno Yvon. Sous ces latitudes, la vigne commence à produire du raisin dès la troisième année ; à vingt-cinq ans, elle est déjà trop vieille.
Dans la salle de stockage, contiguë au chai, des employées en sari étiquettent et mettent en caisses des bouteilles de ' La réserve ', le nouveau produit haut de gamme de Grover Vineyards, qui vient chapeauter ses autres vins (une clairette, un blanc sec, un rouge et un rosé demi-sec). Ce rouge prometteur, assemblage de merlot et de cabernet sauvignon élevé en fûts de chêne, devrait ravir la classe aisée indienne, première consommatrice de vin, et permettre à Grover de se mesurer aux vins d'importation, vendus plus cher. ' La réserve ' est vendue à moins de 40 F, alors que les vins étrangers, en raison des droits de douane très élevés, seront quasiment introuvables à moins de 100 F.
Si le domaine Grover Vineyards ne compte que 50 ha de vignes en pergolas, irriguées en goutte-à-goutte, et ne commercialise que 275 000 bouteilles pour le moment, le groupe ne veut pas en rester là. Dans des pépinières, de jeunes pieds attendent d'être plantés. ' Tout en maintenant cette qualité, nous pensons produire d'ici à quelques années près de deux millions de bouteilles ', assure Bruno Yvon. Ainsi, Grover Vineyards viendrait chatouiller son principal concurrent, le château Indage.

La propriété de Shyam Chougule, l'autre passionné de vins français, est installée à 250 km à l'est de Bombay, dans le Maharashtra. Le château Indage vend chaque année plus de deux millions de bouteilles. Shyam Chougule est le roi du ' champagne ' (1) indien. Derrière le portail en fer forgé et les bâtiments modernes, les méthodes de vinification n'ont rien à envier à une grosse cave française.
Toujours avec l'aide de techniciens français, le domaine s'agrandit. C'est d'ici que sort notamment, avec quatre autres vins, la méthode champenoise ' Marquise de Pompadour ', le vin mousseux le plus vendu en Asie, celui qui a fait la renommée d'Indage. En 2000, il a permis à Shyam Chougule de produire près de la moitié des 4,3 millions de bouteilles de vin vendues au total en Inde. D'ici peu, le château Indage passera de 240 à 1 000 ha. Un domaine à la mesure du pays et des ambitions de son propriétaire.

(1) Porto et champagne sont deux appellations protégées. En Inde, comme dans d'autres pays, elles font l'objet d'une usurpation illégale.

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