Haro sur les rendements excessifs ! Cela faisait déjà un petit moment que la surcharge ou l'absence de vendanges de certaines vignes étaient pointées du doigt lors des réunions. Ce dossier est devenu prioritaire par la volonté de l'Inao de limiter les rendements, mais aussi par la difficulté d'atteindre le degré minimal lors du millésime 2001. Car ce dernier, qui s'annonçait prometteur à la fin du mois d'août, a souffert des mauvaises conditions météorologiques de septembre, avec perte de degré et pourriture à la clé.
' C'est une année pédagogique où le lien entre le rendement réel et les degrés est évident , précise Dominique Moncomble, directeur technique du CIVC (Comité interprofessionnel des vins de Champagne). On ne peut pas, pour autant, parler d'année exceptionnelle car elle présente de nombreuses similitudes avec 2000 qui, elle, s'est bien terminée. De plus, le qualificatif 'exceptionnel' laisse entendre que tout nous échappe, ce qui est faux. Toute intervention en amont est importante . ' Après la diffusion du Guide sur la viticulture raisonnée en février 2001, le CIVC devrait éditer le Guide pratique de la maîtrise des rendements à la fin du premier semestre 2002. Il y sera question de taille, d'éclaircissage, d'ébourgeonnage, de choix des clones, de tri, de capteurs à pollen, ou encore du modèle Décliq qui permet, entre autres, d'estimer l'importance de la future inflorescence une année à l'avance. Bref, toute une palette de moyens pour trouver un bon compromis entre le souhait légitime d'atteindre le rendement autorisé et les vignes trop vigoureuses qui ' diluent ' les caractéristiques du terroir.
Cette maîtrise des rendements est un sujet particulièrement sensible en Champagne, notamment chez les vignerons les moins jeunes marqués par les années à très petite récolte dans les décennies 70-80. ' Il ne s'agit pas, à proprement parler, d'une guerre entre les générations , tempère un jeune viticulteur. Mais les jeunes intègrent plus facilement que le contexte a changé et que, grâce aux progrès techniques et au réchauffement de la planète, les millésimes à 3 000 kg/ha devraient se raréfier. La crainte de manquer de raisin ne doit pas nous empêcher de réfléchir sur des mesures concrètes pour limiter nos rendements devenus trop importants. J'ai honte quand j'entends certains vignerons, heureusement isolés, fanfaronner d'avoir atteint les 25 000 kg/ha. '
' Notre belle valeur ajoutée à l'hectare implique certaines contraintes, dont celles de produire proprement des vins de qualité, poursuit notre interlocuteur . Or les oenologues le répètent très souvent : si la qualité des champagnes a progressé depuis quinze ans, les millésimes qui font rêver deviennent très rares. Les vignerons qui voyagent dans les autres vignobles sont certainement plus réceptifs au besoin de produire des raisins plus riches. De plus, les vignes à rendements maîtrisés sont moins sensibles aux maladies. '
' Nous avons commencé à travailler sur ce sujet en 2001 lors des réunions locales, et nous devrions décider des mesures à prendre lors de l'assemblée générale d'avril 2002 , précise Philippe Feneuil, président du SGV (Syndicat général des vignerons). En premier lieu, il faut se battre contre les vignes 'éponges', souvent mal travaillées et surtout non vendangées. Cette pratique est préjudiciable d'un point de vue sanitaire, oenologique, mais aussi en termes d'image. Nous allons probablement travailler sur la définition d'un nombre de grappes au m². Ensuite, la nature fera son oeuvre. Une commission, composée d'agents de l'Inao et de professionnels, contrôlera si le vigneron a mis en oeuvre toutes les pratiques culturales visant à limiter les rendements. Dans les deux premières années, ces visites seront plus pédagogiques que répressives. '
L'autre grand sujet de préoccupation de ce vignoble concerne l'esca. Il est difficile de chiffrer l'importance des vignes touchées par cette maladie qui ne bénéficie plus de moyen de lutte chimique depuis la récente interdiction d'utiliser de l'arsénite de sodium. Le réseau GDV de la Marne a constaté une hausse du nombre de parcelles touchées depuis six ans : en 1995, 12,6 % des 106 parcelles observées étaient touchées contre 57 % des 231 parcelles observées en 2001. De plus, l'intensité de la maladie dans les parcelles touchées progresse, ce qui renforce l'urgence d'agir collectivement en brûlant les pieds contaminés.
Sur le plan commercial, 265 à 270 millions de bouteilles devraient avoir été vendues en 2001, soit une progression de 5 % par rapport à l'année précédente. Petit bémol dans ce vent de reprise : les prix. ' Les 5 % de ventes supplémentaires s'accompagnent d'un prix de vente moyen en baisse de 5 % , précise Philippe Feneuil. Nous avons donc le même chiffre d'affaires et une diminution de la valeur ajoutée par bouteille. Et comme avec les négociants, nous avons toujours neuf mois de décalage pour les fluctuations des prix. Je crains que le premier semestre 2002 montre les premiers signes de ralentissement des ventes du vignoble à la suite de l'offre de champagnes à prix bas dans les magasins. ' En grande distribution, on a trouvé des champagnes à moins de 60 F.
Parmi les actions engagées pour maintenir les ventes des vignerons, le SGV poursuit sa campagne de communication par voie de presse. Une marque collective, Les Champagnes de vignerons, a également vu le jour l'été dernier. Le site www.champagnesdevignerons.com est venu épauler ce lancement avec de nombreuses informations sur le champagne, mais aussi avec la possibilité pour les visiteurs de ce site d'aller directement sur les sites privés des vignerons.
Toujours dans la communication, lors de l'assemblée générale de l'AVC (Association viticole champenoise), le président des négociants, Yves Bénard, a évoqué la possibilité d'une grande action de promotion commune entre tous les opérateurs du champagne, proposition que les négociants avaient déclinée jusqu'à présent. Après 2001, année pédagogique, 2002 pourrait être celle des challenges : communiquer ensemble, maîtriser les rendements et poursuivre les efforts en matière de viticulture raisonnée.