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Un décret embarrassant pour la filière viticole

La vigne - n°129 - février 2002 - page 0

Le décret 'agriculture raisonnée', texte transversal pour toute l'agriculture, était attendu depuis longtemps. Mais dans une culture spécialisée comme la nôtre, qui produit du vin, pas des raisins, il soulève plusieurs interrogations.

Les cahiers des charges de l'agriculture raisonnée ont proliféré ces dernières années, et certains utilisent de manière abusive une mention mal protégée. Le décret ' agriculture raisonnée ', en définissant précisément ce qu'elle recouvre, devrait clarifier la situation. Il est attendu pour la fin du premier trimestre et permettra d'organiser, de développer et de protéger l'agriculture raisonnée. En tout cas, ce sont les objectifs affichés par le ministère de l'Agriculture. Ce décret se fonde sur le référentiel de l'agriculture raisonnée, qui s'inspire du travail déjà réalisé par les associations Farre et Quali' terre. ' Par rapport à notre socle, il y a en plus des éléments sur la sécurité du travail, sur l'hygiène, notamment dans le domaine de l'élevage. Davantage d'enregistrements sont aussi demandés. Par exemple, il faut consigner les observations réalisées au champ ', précise Gisèle Perrot, de Farre.
Ce référentiel est national. Il est voué à évoluer, devenant de plus en plus contraignant, et sera complété par des exigences territoriales définies au niveau régional, en fonction des problèmes propres à un territoire, comme l'érosion ou la pollution des eaux. Le référentiel regroupe des mesures déjà imposées par la loi, notamment en matière de stockage des produits phytosanitaires ou de gestion des déchets, et, pour une bonne moitié de son contenu, des mesures non réglementaires auxquelles l'exploitation devra se conformer si elle veut être qualifiée au titre de l'agriculture raisonnée.
La qualification des exploitations constitue un autre point clé du décret : l'agriculteur qui le souhaite pourra la demander. Valable cinq ans, elle est accordée pour la globalité de l'exploitation par une tierce partie, un organisme certificateur, indépendant et agréé.

Le dernier volet de ce décret est sans doute le plus critiqué : une exploitation qualifiée pourra communiquer sur ce sujet et le mentionner sur l'étiquetage. C'était une demande des consommateurs, mais également des exploitants, soucieux de mieux valoriser leurs produits. ' Si la qualification nécessite un certain effort de la part des agriculteurs, il convient alors de ne pas fermer la porte à toute possibilité de valorisation par un étiquetage sur les produits. Il conviendra cependant de prendre toutes les précautions pour pouvoir garantir la traçabilité et, surtout, de ne pas créer de confusion entre la démarche d'agriculture raisonnée, qui porte sur les exploitations dans leur globalité, et les signes officiels de qualité qui visent des produits ', indiquait Jean Glavany lors des cinquièmes rencontres Farre, le 9 janvier. La mention pouvant figurer sur l'étiquette est ' ...issu d'une exploitation qualifiée au titre de l'agriculture raisonnée '.
La FNAB (Fédération nationale d'agriculture biologique) des régions de France a vivement réagi face à cette décision. Si elle se félicite qu'une partie non négligeable des exploitations se mette à raisonner ses pratiques, elle refuse que mention en soit faite sur les denrées alimentaires. Pour la FNAB, cette identification risque d'induire en erreur les consommateurs. Or, face à un référentiel qualifié de ' faiblard ' par son délégué général, les exigences claires et contrôlées de l'agriculture biologique ' ne peuvent être mises en concurrence avec une simple application des lois et des pratiques agricoles de bon sens '. Cet étiquetage gène aussi notre filière, notamment l'Inao, même si l'Institut souligne que ce décret concerne une démarche de qualification des exploitations, pas des produits. Le risque de confusion est réel. Pour Jean-Marie Bidault, directeur de l'ITV, il y a contradiction entre la volonté d'éviter l'imbroglio avec les signes officiels de qualité et la mention sur l'étiquette.
Il faut enfin voir comment ce texte s'articulera avec le travail déjà réalisé dans notre secteur. Un socle commun de la filière viticole en matière d'agriculture raisonnée existe. Un référentiel champenois a été publié il y a un an. Avant l'annonce du décret, les représentants professionnels de cette région se demandaient s'il fallait s'orienter vers une qualification des exploitations ou vers l'intégration des règles de production dans le décret de l'appellation.

' Pour moi, technicien, la qualification paraît moins adaptée , juge Arnaud Descotes, au CIVC (Comité interprofessionnel du vin de Champagne). La production champenoise est très atomisée, avec beaucoup de doubles actifs. De plus, la qualification risque de faire double emploi avec l'AOC. Enfin, le référentiel de l'agriculture raisonnée me semble plus adapté à une production de matière première qu'à une industrie de transformation. Si des exploitations sont qualifiées et d'autres pas , poursuit-il, ira-t-on vers une appellation à deux vitesses ? En revanche, si les règles de production en viticulture raisonnée sont intégrées au décret d'appellation, il ne sera pas nécessaire d'en faire état sur l'étiquette, car toute l'appellation produira plus propre. '
Les pionniers de Terra Vitis sont également dans l'embarras. ' Il faut attendre les modalités d'application. Elles restent encore floues ', tempère Florence Vulin, animatrice en Beaujolais. Mais comment communiquer désormais alors que Terra Vitis est fondé sur l'agriculture raisonnée ? ' Pour 2002, on ne change rien mais, ensuite, on peut se poser la question : comment continuer ? ' D'autres questions restent en suspens. Qui auditera ? Les chambres d'agriculture ? Quel sera le coût de tout cela ? Qui paiera ?
Certains estiment enfin que le référentiel ne met pas la barre assez haute. Mais pour fédérer à terme 80 % des agriculteurs, objectif affiché, pouvait-il en être autrement ? Des efforts seront nécessaires pour atteindre ce but. Ils devront être accompagnés d'un enregistrement des faits et des gestes quotidiens, un volume de paperasse qui risque d'en décourager plus d'un, mais c'est le prix à payer pour communiquer sur ses pratiques en toute transparence. ' Il ne faut pas que l'agriculture raisonnée se transforme en un amas de papiers à remplir , insiste Gisèle Perrot. Il faudra faire de gros efforts pour faciliter le travail des agriculteurs . '

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