Pratiquement inexistante il y a 40 ans, la viticulture se développe dans cet Etat du nord-est américain au climat parfois rude. La vigne est un business porteur et les touristes sont là.
On connaît la viticulture de Californie, de l'Etat de Washington voisin ou celle de New-York (tiercé de tête aux Etats-Unis), mais beaucoup moins celle de Virginie, petit Etat de la côte Est, à deux pas de Boston, New-York, Philadelphie ou Washington. Elle est pourtant en plein boom et pointe au 9e rang national, avec une récolte de 3 800 tonnes de raisins. En 2000, derniers chiffres officiels, les soixante wineries de la région ont produit un tiers de raisins en plus que deux ans plus tôt. On comptait seulement 6 ha de vignes (du raisin de table uniquement) en 1960. Ce chiffre est monté à 574 ha en 1995 et 869 ha en 2000. Plusieurs dizaines d'hectares ont été plantées en 2001 et pas moins d'une quinzaine de wineries sont en construction.
La raison de cette engouement est simple : le vin est perçu comme un investissement ludique. Pour les débouchés, les grandes villes sont proches et les touristes nombreux. Alors on se lance avec des prix à la bouteille intéressants : entre 7 et 20 dollars pour le blanc (60 % des volumes) et jusqu'à 35 dollars pour les meilleures cuvées de rouge. On voit ainsi investir un ancien pilote d'avion, un chanteur du top 10 américain, un avocat, un entrepreneur en bâtiment, un ancien journaliste... Au début, les nouveaux arrivants vendent leurs raisins aux wineries existantes, à 1 350 euros/t (8 855 F) en moyenne, soit près de 1,37 euros/kg (9 F), avant de monter, pour les plus motivés, leur propre structure. Comme les plantations sont libres, c'est le simple jeu de l'offre et de la demande. La main-d'oeuvre qualifiée étant rare, on s'entoure souvent de consultants et de stagiaires étrangers.
Selon Chris Hill, consultant viticole pour Jefferson Vineyards (une winerie de taille moyenne vendant 8 000 caisses par an), ' si la vigne s'adapte plutôt bien au climat local, ce sont les intempéries qui régulent la qualité et la quantité '.
Pour ce vignoble essentiellement implanté à l'intérieur des terres - même si la latitude est celle du sud de l'Italie ou de l'Espagne - le climat est plutôt rude. Des gelées de printemps, d'hiver (mois de janvier et de février), qui parfois font éclater les ceps, quand ce n'est pas la grêle, les tornades ou les orages tropicaux. Tous les ans, il y a quelque chose. Sans oublier les dégâts causés, d'une part par les biches (proximité d'un parc naturel), obligeant la pose de clôtures électriques, et d'autre part par les oiseaux, ce qui nécessite des filets de couverture sur la végétation. Les propriétaires doivent aussi lutter contre les japanese beatle, de grosses coccinelles noires qui sévissent quand le temps est quasi tropical en juillet et août. Plus classiquement, il y a des vers de la grappe, du mildiou, du botrytis et surtout de l'oïdium avec la forte hygrométrie de l'été (souvent supérieure à 80 %).
Pour la plupart des propriétaires, la Virginie est en phase ' d'apprentissage ' des techniques vitivinicoles, d'autant qu'il n'y a pas de recherche spécifique. Il n'est pas rare de trouver dans les caveaux de wineries une dizaine de références à la vente : vins de cépage (chardonnay, viognier, merlot, cabernet...) ou assemblages. Mais il existe toutefois quelques réunions techniques d'informations organisées par l'université de Virginie. Une plaquette sur la notion de terroir en Virginie a même été publiée. ' Ceux qui plantent aujourd'hui essayent de trouver les bons endroits, notamment au niveau de l'altitude, pour limiter les problèmes liés au climat ', explique-t-on. On plante aussi avec une densité plus élevée, supérieure à 5 000 pieds/ha, et avec un mode de conduite plus mécanisable que le traditionnel ' ballerines ' où la végétation est peu tenue et peut traîner par terre. Les plus ' modernes ' pratiquent, avec une main-d'oeuvre mexicaine, l'effeuillage, l'enherbement maîtrisé ou l'ébourgeonnage. Les plus ' anciens ' croient encore aux épandages massifs d'engrais et autre ' ballerines '. Evidemment, avec cette évolution vers la qualité, les rendements s'en ressentent : de 12 à 4-5 tonnes par hectare. Il existe encore des hybrides (seyval, vidal, concorde...), mais ils sont remplacés, au rythme des plantations nouvelles, par des viniferas, le chardonnay arrivant en tête.
Cette année, les vendanges se sont étalées sur deux mois pour se terminer au 20-25 octobre. Le millésime est prometteur, la météo ayant été clémente en arrière-saison. En Virginie, on produit surtout des vins lourds et boisés qui correspondent bien au goût local. Le recours aux copeaux de chêne est courant lors des fermentations, ainsi que l'ajout de tanins et l'acidification. Mais on note un mouvement récent pour des vins plus classiques, dans le style européen, avec moins ' d'artifices '. Certains vont même jusqu'à fouler la vendange aux pieds ! Si le style des vins de Virginie se cherche un peu, la zone a un atout maître : le tourisme. Toutes les wineries sont équipées pour recevoir, comme savent bien le faire les Américains. 80 % des ventes ont lieu dans les zones de production. De nombreuses affaires se font lors de gigantesques festivals en été : en plein air, se mêlent musique, artisanat local et, bien sûr, le vin virginien.