La diversité des micro- organismes du sol permet une dégradation plus ou moins rapide et complète des produits phytosanitaires.
Dans un contexte d'agriculture plus respectueuse de l'environnement, le devenir des pesticides dans le sol est une question qui préoccupe bon nombre de citoyens et de professionnels. En effet, après leur application, même si une part des produits phytosanitaires se volatilise dans l'atmosphère, ou rejoint les eaux souterraines ou de surface par ruissellement, la majeure partie séjourne dans le sol.
Or, le sol est en soi un modèle de complexité où se développent de nombreux micro-organismes qui vont contribuer à la disparition des molécules indésirables.
' On peut trouver entre 100 millions et 1 milliard de bactéries par gramme de sol , explique Bernard Lagacherie, du laboratoire de microbiologie des sols de l'Inra de Dijon (Côte-d'Or). Beaucoup de pesticides étant des molécules carbonées proches de composés naturels, il y aura souvent au moins une bactérie qui aura l'équipement enzymatique adéquat pour débuter la dégradation de ces molécules . '
La biodégradation des pesticides repose sur la notion de ' leurre nutritif '. En effet, l'enzyme impliquée confond la molécule de synthèse avec son substrat naturel. Cela aboutit à la formation d'eau, de sels, de dioxyde de carbone ainsi que de biomasse microbienne.
Les micro-organismes présentent d'extraordinaires capacités d'adaptation. Lorsqu'ils possèdent tous les outils enzymatiques leur permettant d'utiliser un pesticide comme unique source nutritive, on dit que la dégradation se fait par métabolisme. Les applications répétées de ce pesticide vont donc exercer une pression de sélection sur la microflore du sol, d'où une prolifération des micro-organismes conduisant à la biodégradation accélérée de la molécule. Ce phénomène, intéressant du point de vue écologique, l'est parfois moins sur le plan agronomique, car il peut conduire à des pertes d'efficacité du produit lorsque celui-ci est appliqué en traitement du sol.
La biodégradation accélérée a été mise en évidence le plus souvent dans des essais de laboratoires et concerne un nombre important de molécules (phytohormones, triazines, carbamates, certaines urées et amides...). Elle résulte notamment du développement par l'industrie de produits moins persistants. ' Dans le cas de l'atrazine, il existe des sols où la totalité du produit peut être dégradée en une ou deux semaines. Le phénomène est étroitement lié à l'acidité et n'a été observé que dans des sols à pH supérieur à 7 , rapporte Guy Soulas, de l'Inra de Dijon. La perte d'efficacité d'un produit peut s'expliquer par des circonstances climatiques particulières, par l'accroissement de la résistance des cibles et aussi, dans un certain nombre de cas, par la biodégradation accélérée de la matière active ', explique Jean-Claude Fournier, de l'Inra de Dijon.
Cependant, pour réduire ou supprimer le problème, il suffit généralement d'alterner les matières actives dans le temps de manière à ce que les populations microbiennes dégradantes régressent. Toutefois, pour la majorité des molécules, les sols agricoles sont dépourvus de souches microbiennes capables de les utiliser spécifiquement comme source nutritive. Faute d'outils enzymatiques nécessaires, ces micro-organismes sont incapables de conduire la dégradation à son terme et d'en tirer profit. On parle alors de co-métabolisme, car la dégradation ne sera possible que si un autre substrat nutritif, la matière organique, est présent dans le milieu. Dans ce cas, c'est l'ensemble de la microflore du sol qui est sollicité. Ainsi, grâce à la complémentarité enzymatique des communautés microbiennes, la dégradation pourra arriver à son terme, mais le processus est souvent plus lent.
La structure chimique d'une molécule est un facteur déterminant de biodégradabilité. En effet, souvent pour optimiser l'efficacité d'une molécule, les firmes y greffent d'autres substituants, induisant ainsi une résistance de la molécule à la dégradation. La microflore du sol se retrouve alors démunie. Et lorsque les pesticides ne sont pas dégradés ou qu'ils ne le sont que partiellement, ils s'accumulent et se stabilisent en se liant à certains constituants, dont la matière organique. Les liaisons sont plus ou moins fortes et, au cours du temps, les molécules vont être relarguées. Toutefois, les phénomènes d'accumulation se font de plus en plus rares du fait de l'interdiction ou des restrictions d'emploi des produits concernés : DDT, HCH, insecticides organochlorés.
D'autres mécanismes physico-chimiques tels que la dégradation par la lumière peuvent intervenir avant la dégradation microbienne. La molécule mère se trouve alors sous forme de produits de dégradation, ce qui peut faciliter ou, au contraire, compliquer l'intervention des micro-organismes.
Les facteurs pédoclimatiques sont également primordiaux, car ils agissent directement sur le niveau d'expression des micro-organismes. Il suffit d'un seul facteur limitant pour que la dégradation s'arrête. La teneur en eau et la température sont connues pour contrôler le niveau d'activité des micro-organismes. Ainsi, dans le Midi, des travaux sont en cours depuis trois ans sur les sols viticoles pour mesurer l'influence des facteurs du milieu sur la biodégradation du diuron. Les résultats ont montré qu'une longue sécheresse de quinze jours à trois semaines a peu de répercussion sur la capacité des micro-organismes à dégrader le diuron. En effet, dès que les conditions du milieu redeviennent favorables, la biodégradation redémarre. Par ailleurs, la description de ces facteurs environnementaux est essentielle dans une perspective de modélisation, outil indispensable dans le cadre de la prévision et de la réglementation pour l'homologation des produits.
Enfin, les pratiques culturales comme l'enherbement ou le travail du sol peuvent jouer un rôle important. Des études sont en cours en Bourgogne afin d'apprécier d'éventuels effets de la conduite des parcelles viticoles sur la taille et la diversité des populations microbiennes.