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Le rôle de l'oxygène

La vigne - n°132 - mai 2002 - page 0

Pasteur disait ' l'oxygène est le pire ennemi du vin ' mais ' c'est l'oxygène qui fait le vin, c'est par son influence qu'il vieillit '. Aujourd'hui, on peut expliquer ses propos.

L'oxygène de l'air se dissout par diffusion. Une fois qu'il a pénétré dans le vin, il est consommé par une grande variété de composés et, en priorité, par les polyphénols, et les tanins du chêne lors d'un élevage sous bois. Des réactions d'oxydoréduction très complexes s'enchaînent. Des quinones sont formées et réagissent avec d'autres phénols en donnant de nouveaux composés souvent plus réducteurs que les premiers. Ainsi, l'oxygène apporté ultérieurement sera consommé encore plus rapidement.
L'oxygène se combine également au SO 2, qui s'oxyde en sulfate (SO 4). De ce fait, il protège tous les constituants du vin autres que les polyphénols. Il agit comme un antioxydant. D'autres molécules sont oxydées. L'éthanol est transformé en éthanal, qui favorise les réactions de condensation entre les tanins et les anthocyanes, formant des composés colorés plutôt stables. L'oxygène a donc un rôle majeur sur la nuance, la stabilité et l'intensité de la couleur des vins rouges. En revanche, sur les vins blancs, l'oxydation des polyphénols conduit à un brunissement. Par ailleurs, les polyphénols formés en présence ou en l'absence d'oxygène sont différents. L'oxygénation influence donc la perception tannique ressentie à la dégustation (douceur, astringence...).
Si la quantité d'oxygène apportée est supérieure à celle consommée par les polyphénols et le SO 2, de l'oxygène dissous sera disponible pour réagir avec d'autres composés, notamment les arômes. Cela en fera évoluer certains et disparaître d'autres, comme les composés soufrés responsables des notes de buis et d'agrumes dans le sauvignon. Les arômes fruités et fermentaires de certaines syrahs sont également très sensibles aux oxydations. La plupart des composés odorants variétaux sont assez fragiles. Ainsi, l'oxygène non maîtrisé peut conduire à la banalisation.

L'équipe de Michel Moutounet, de l'Inra de Montpellier, a aussi montré que les lies de levures participent à la consommation de l'oxygène. Les lies en suspension l'absorbent plus vite que les tanins. Un élevage sur lies avec bâtonnages freinera donc l'évolution oxydative. Plus que tout autre facteur, la température du chai conditionne le devenir de l'oxygène. ' Dans un chai très froid, il peut se dissoudre jusqu'à sept fois plus d'oxygène qu'à 20° C ', estime Nicolas Vivas, chez le tonnelier Demptos. Plus le chai est froid, plus le vin dissout d'oxygène, mais plus il le consomme lentement. ' La plage de température à laquelle les tanins du vin consomment l'oxygène de façon optimale se situe entre 15 et 18° C ', précise Thierry Lemaire, de la société OEnodev. Les antioxydants oenologiques et le maintien du vin à ces températures permettent de préserver les arômes.
Les besoins d'un vin en oxygène sont difficiles à définir. Pour les rouges, ils dépendent de la concentration en polyphénols et de l'équilibre tanins/anthocyanes. Si le vin a moins d'anthocyanes que de tanins, ces derniers auront tendance à s'assécher. Un tel vin nécessite donc d'être protégé de l'air.
On estime les besoins en oxygène de façon empirique, par la dégustation. On se fie encore aujourd'hui davantage à l'expérience pour décider d'arrêter l'élevage, plutôt qu'à des critères analytiques précis. Toutefois, Yves Glories, de la faculté d'oenologie de Bordeaux, travaille à la modélisation des besoins en oxygène qui permettrait d'indiquer aux oenologues des niveaux d'apport en fonction de la composition d'un vin et de la qualité finale recherchée. Le vinificateur s'attachera à privilégier les pratiques permettant un apport faible, lent et continu.
Lorsque le vin est agité, l'oxygène se dissout plus vite qu'il n'est consommé. Il se retrouve alors à des teneurs comprises entre 1 mg/l et la concentration de saturation de 8,4 mg/l à 20° C. D'après Ribereau-Gayon, le vin brassé avec un égal volume d'air se sature en trente secondes. Un vin saturé consomme l'oxygène en l'espace d'une à quatre semaines (un vin rouge consomme l'oxygène plus vite qu'un blanc).
Lorsque le vin est au repos, la dissolution est plus lente que la consommation. On retrouve ainsi des concentrations en oxygène très faibles (10 à 50 mg/l). Seul le premier centimètre de vin en contact avec l'air affiche des concentrations supérieures à ces niveaux. ' L'oxygène ne pénètre donc pas vraiment dans le vin, explique Michel Moutounet, car la consommation a lieu à l'interface air/vin. L'intensité des oxydations dépend du rapport entre la surface de vin en contact avec l'air et le volume du contenant. '
En revanche, lors des transferts, de l'oxygène se dissout effectivement. L'Inra de Pech-Rouge (Aude) a analysé ce phénomène dans plusieurs sites de conditionnement. Les résultats indiquent qu'après un soutirage à l'air, le vin renferme entre 3 mg/l d'oxygène et 8,4 mg/l de concentration de saturation. Lors d'un transvasement, si l'orifice d'arrivée se trouve au fond du récipient, le vin ne gagne pas plus de 0,2 à 0,3 mg/l. ' La dissolution d'oxygène est d'autant plus rapide que le vin est émulsionné, la température basse et la pression élevée ', résume Michel Moutounet.

Lors d'un transfert, le risque maximal se situe au pompage. Si tout se déroule bien, le vin n'absorbe pas plus de 1 mg/l. Mais une fuite au presse-étoupe ou un raccord mal vissé peuvent être la cause d'un enrichissement jusqu'à saturation de tout le volume de la cuve. En revanche, lors d'une filtration, seuls les premiers litres de vin sont en contact avec l'oxygène. Une clarification apporte moins de 2 mg/l.
L'embouteillage est aussi une source d'oxygénation. S'il existe des embouteilleuses limitant l'entrée d'oxygène à 0,3 mg/l, il n'est cependant pas rare de mesurer des teneurs atteignant 3 à 4 mg/l à l'issue de la mise, constate-t-on à l'Inra. Il ne faut donc pas négliger l'effet cumulatif de tous ces apports d'oxygène lors de différentes manipulations oenologiques. S'ils ne sont pas maîtrisés, ils déprécieront la qualité des vins.



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