Au moment de la véraison, la présence d'alcool sur les baies entraîne une plus forte coloration et une diminution de la concentration en acide malique. Un tel traitement mérite encore une mise au point.
Et si un produit aussi simple que l'éthanol devenait un traitement viticole ? A la lecture des résultats récemment obtenus, il a de bonnes chances de le devenir. Christian Chervin, chercheur à l'Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse (Haute-Garonne), a mené une expérimentation sur trois années, consistant à pulvériser de l'alcool alimentaire sur des baies de cabernet-sauvignon au moment de la véraison. Aussi surprenants soient-ils, ses essais, effectués sur le domaine expérimental de Candie, ont donné des résultats très encourageants. Ils mériteraient d'être poursuivis sur les prochains millésimes pour peaufiner la méthode.
Une pulvérisation d'alcool au moment de la mi-véraison sur des baies de raisin rouge provoque deux phénomènes. D'une part, la densité optique (DO 520) de la pellicule du raisin est plus importante. Les vins d'un an ont également une couleur plus intense, mesurée par la somme des DO à 420, 520 et 620 nm. Mais ces différences ne sont pas visibles à l'oeil nu. D'autre part, ce traitement provoque une baisse de la concentration en acide malique dans le raisin, celle en acide tartrique restant identique. ' Les meilleurs résultats semblent obtenus avec des solutions contenant 2,5 % ou 5 % d'alcool ', observe Christian Chervin. D'éventuelles autres conséquences restent à déceler.
L'alcool est connu pour son rôle dans la synthèse d'éthylène dans certains fruits. L'éthylène est une hormone végétale, dont la concentration fait un pic au moment de la véraison du raisin. La présence d'alcool sur la pellicule du raisin induirait une série de réactions intracellulaires, parmi lesquelles la synthèse d'éthylène. La concentration maximale de cette hormone dans la baie est observé six heures après le traitement. Toutes les molécules d'anthocyanes ont été plus fortement synthétisées durant les semaines qui suivent la pulvérisation d'alcool. Par ailleurs, l'Ethéphon (Aventis), l'équivalent synthétique de l'éthylène, utilisé pour l'éclaircissage induit également la stimulation de la synthèse de pigments dans le raisin. Les réponses des cellules végétales à l'alcool commencent à être décryptées. La recherche fondamentale permettrait de découvrir si l'alcool entraîne la production d'anthocyanes par le biais de l'éthylène, ou par d'autres mécanismes. Christian Chervin va poursuivre ses recherches, mais sur l'induction des réactions au niveau cellulaire (récepteurs, transcription...). La mise au point du traitement à l'alcool devra être effectuée par d'autres équipes.
Le traitement des baies à l'éthanol n'a pas provoqué d'effets indésirables. Les baies ont atteint un poids moyen égal à celui des baies témoins. Elles n'ont pas été plus touchées par des maladies. Des analyses sur les vins issus de ces micro-vinifications devront confirmer que la qualité de la récolte n'a pas été modifiée. La différence de concentration en acide malique s'annule après la fermentation malolactique. L'acidité du vin est donc identique après cette dernière. Le traitement à l'éthanol pourrait donc aussi s'envisager sur des raisins blancs qui sont jugés trop acides, les années où leur acidité peine à chuter durant la maturation.
Le protocole de la pulvérisation d'éthanol devra être peaufiné avec des expérimentations ultérieures. En effet, la simple concentration en alcool du mélange doit être précisée. Les essais de Christian Chervin se sont échelonnés sur des concentrations de 2,5 %, 5 % et 10 %. Le témoin était pulvérisé avec de l'eau. Précisons que ces traitements ont été effectués manuellement, avec un pulvérisateur à dos. Ce chercheur veillait à bien imbiber les baies, jusqu'à ce que la grappe de raisins dégouline d'eau. ' La dose apportée s'approche de 200 l/ha sur des vignes dont le rendement avoisine les 50 hl/ha. Mais si le traitement se fait avec un pulvérisateur motorisé, le traitement peut avoir une toute autre concentration finale sur les baies ', met en garde Christian Chervin. Les précautions à prendre ne sont pas encore déterminées. ' Je conseille aux vignerons qui voudraient tester ce traitement de s'adresser aux centres techniques, qui les aideront. Ils leur indiqueront aussi un schéma d'expérimentation ', indique-t-il.
La date du traitement doit aussi être précisée. Christian Chervin a testé différentes périodes : quinze jours avant la mi-véraison, à la mi-véraison, et trois semaines après. La présence d'alcool sur la pellicule aurait davantage de conséquences à la période où le raisin est réceptif, aux alentours de la mi-véraison. Le maximum de coloration étant atteint deux à trois semaines après le traitement, il serait intéressant de rapprocher cette opération de la date des vendanges. La pulvérisation, a priori, ne pourrait pas rattraper un retard de maturité constaté longtemps après ce stade, car le raisin n'y serait plus réceptif.
Certains millésimes se prêteraient mieux à ce traitement. Les essais ont été plus concluants les années pendant lesquelles la maturation patine un peu : fin d'été nuageux et tempéré, comme en 1999. Les années où le soleil était très présent (comme en 2000), la différence de coloration est beaucoup moins importante, voire absente. Un essai serait intéressant dans les vignobles septentrionaux. Si l'application d'éthanol sur baies venait à être autorisée, ce traitement serait peu onéreux, étant donné les quantités d'alcool alimentaire dont dispose notre pays et son coût. De plus, il pourrait être considéré plus biologique que l'utilisation d'Ethéphon. D'autres chercheurs de l'Inra et des scientifiques australiens se penchent sur la question. Il est donc bénéfique de rester ouvert à toutes les pratiques, aussi farfelues semblent-elles. Certaines peuvent s'avérer d'un intérêt indiscutable, après expérimentation.