Lors d'un symposium à Montpellier, des oenologues ont révélé que les carences en azote au vignoble sont à l'origine d'un vieillissement défectueux des vins blancs.
Il a été beaucoup question de l'azote lors du 13e symposium international d'oenologie, organisé à Montpellier par l'Association internationale d'oenologie, du 9 au 12 juin. Signe d'un changement des temps, pas un scientifique n'est venu exposer les ravages des apports excessifs. En revanche, tous ont parlé des perturbations provoquées par les carences. Un intervenant a rappelé qu'elles sont une cause de difficultés d'achèvement des fermentations. A ce sujet, un auditeur a interpellé les industriels. Il a exigé d'eux qu'ils fournissent des informations plus précises quant aux besoins nutritionnels de leurs souches, car ils varient du simple au double. Il serait grand temps qu'ils le fassent !
Le manque d'azote est également une source de défauts sur les blancs. Il est à l'origine de l'apparition de goûts de réduit en cours de fermentation alcoolique. Il est suspecté d'être l'une des principales causes du vieillissement atypique. Plusieurs chercheurs allemands, suisses et autrichiens sont venus exposer leurs travaux sur ce second défaut, de plus en plus fréquent chez eux et qu'ils nomment UTA (Untypische Alterungsnote). La substance qui le signale est la 2-aminoacétophénone (2-AAP). Elle porte des notes désagréables de naphtaline, d'encaustique et de fleur d'acacia. Cependant, elle n'est pas seule à couvrir les arômes variétaux. Elle est bien souvent accompagnée de divers composés soufrés nauséabonds, ceux justement produits lors de la fermentation par des levures carencées. Tout un exposé a été consacré à ce fait surprenant, car il revient à dire qu'un même vin peut être affecté par un défaut oxydatif et un défaut de réduction.
En France, nous avons également des blancs qui vieillissent trop rapidement. En quelques mois, ils perdent leurs parfums fruités. Denis Dubourdieu, de la faculté d'oenologie de Bordeaux, est venu en parler. Selon lui, ils sont moins marqués par la 2-AAP que par le sotolon. Cette seconde substance est le principal constituant de l'arôme des vins jaunes. Elle donne leur caractère oxydé à ces productions.
Denis Dubourdieu a montré que l'évolution aromatique des sauvignons est très fortement liée à la préservation, lors de l'élevage, d'une troisième substance peu connue en oenologie : le glutathion. C'est une molécule constituée de trois acides aminés, dont un soufré. Ce qui lui octroie de fortes propriétés antioxydantes. Elle est un constituant naturel des moûts, où sa concentration dépend de la nutrition azotée de la vigne. L'apport de 60 u d'azote au moment de la nouaison sur une parcelle carencée a permis de récolter des moûts six fois plus riches en glutathion que les témoins. L'orateur n'a pas dit si les vins correspondants étaient, pour autant, moins sensibles au vieillissement accéléré. Cependant, on pouvait le déduire de la suite de son exposé. Il a montré que le glutathion disparaît au début de la fermentation avant de réapparaître. Il a expliqué qu'il diminue très rapidement dans les vins dépouillés de leurs lies et élevés en fût neuf, alors qu'il chute lentement dans les vins élevés sur lies en fût d'un vin. Les premiers sont bien plus soumis à l'oxydation que les seconds. Entre la fin de la fermentation et la fin de l'élevage, en avril, ils perdent trois fois plus d'arômes soufrés (3-MH, 4-MMP). Au cours de la même période, leur teneur en sotolon est multipliée par huit et leur teneur en aminoacétophénone au moins par six.
A ce stade de la démonstration, le rôle de protection exercé par le glutathion contre le vieillissement accéléré semblait clair. Denis Dubourdieu a achevé son intervention en le démontrant indiscutablement. Il a ajouté 10 mg/l de la substance dans un vin au moment de l'embouteillage. Trois ans après, il était encore frais alors que le témoin avait jauni et que les dégustateurs l'accusaient de vieillissement défectueux.
Allemands, Suisses et Autrichiens se sont penchés sur les causes agronomiques de ce défaut et sur les moyens d'y remédier. En gros, ils s'accordent pour dire qu'elle est provoquée par la carence en azote, les rendements excessifs, la sécheresse estivale et la récolte précoce. Cependant, ils se disputent pour savoir lequel de ces facteurs reste primordial. Pour certains, ce serait la carence en azote induite par l'enherbement et la réduction des fumures. Adolf Rapp, quant à lui, accuse en premier lieu la sécheresse estivale. Ce chercheur allemand a projeté plusieurs graphiques mettant en relation la pluviométrie des mois de juillet, août et septembre d'une année et la teneur en 2-AAP du millésime correspondant. ' Il faut changer la réglementation qui interdit l'irrigation car le déficit en eau est très préjudiciable , a-t-il réclamé. On peut résoudre le problème de l'UTA au vignoble par l'irrigation. ' Peut-être sera-t-il entendu ; l'Allemagne se prépare à assouplir la réglementation sur l'irrigation.
Tilo Hühn, de nationalité suisse, a testé d'autres moyens de prévenir la formation du vieillissement atypique. Il a eu l'idée, à première vue saugrenue, d'utiliser un filtre du rayonnement UV-B. Ce produit entre dans la composition de crèmes solaires. En août, il l'a appliqué sur la zone des grappes et sur l'ensemble du feuillage. Les vignes stressées ont réagi favorablement à ce traitement. Les vignes qui ne l'étaient pas ont, au contraire, produit des vins plus riches en 2-AAP que les témoins. Tilo Hühn a comparé le filtre UV-B à un engrais foliaire complet, pulvérisé au même moment, avec lequel il a obtenu, dans tous les cas, une nette réduction des défauts des vins. L'élément actif dans cet engrais avait sans doute été l'azote car un autre chercheur a signalé, lors de sa présentation, qu'une pulvérisation d'urée au moment de la véraison avait réduit de moitié la teneur en AAP dans les vins issus de parcelles enherbées. Ce traitement est sans effet sur la vigueur.
Une bonne nutrition azotée des vignes est donc le gage de fermentations sans histoire des moûts blancs débouchant sur des vins aptes à vieillir. Malheureusement, aucun des conférenciers n'était venu expliquer précisément comment l'obtenir. C'est maintenant aux agronomes de le faire.