Récolter un raisin rouge apte à donner le vin recherché exige que ses composés phénoliques soient suffisamment présents et surtout facilement extractibles.
Les oenologues se sont trop longtemps restreints au suivi de la maturité technologique (sucres et acidité), en omettant le rôle des composés phénoliques dans l'obtention de rouges de qualité. C'est que le déroulement et le suivi de la maturité phénolique sont plus complexes.
Dans le raisin, ce sont les pépins qui atteignent les premiers leur maturité physiologique. Ils acquièrent leur capacité à germer dès la période précédant la véraison. Leur évolution consiste en une sclérification, une lignification et le dépôt d'une cuticule lipidique externe. La quantité de tanins extractibles des pépins commence à diminuer autour de la véraison. La pulpe et la pellicule poursuivent leur évolution pendant plusieurs semaines après la véraison. Les cellules de la pulpe continuent leur multiplication et leur croissance sans augmentation proportionnelle des polyosides pariétaux. La maturation de la pellicule s'approche de phénomènes de sénescence : altération des parois cellulaires et accumulation de métabolites secondaires, les composés phénoliques. Certains constituants de la paroi cellulaire sont hydrolysés, le fruit se ramollit. La maturation phénolique se suit au niveau des vacuoles des cellules de la pellicule. La dynamique de l'accumulation des anthocyanes et des polyphénols permet de connaître l'état de maturité. En effet, on a pu enregistrer une chute des concentrations en anthocyanes aux alentours de la maturité optimale. A ce stade, leur concentration est suffisante malgré un léger fléchissement. La dégradation des parois cellulaires commence, ce qui favorise leur diffusion. Au même moment, on constate une chute notable des tanins extractibles à caractère astringent dans les pépins.
La notion de maturité phénolique doit prendre en compte la teneur globale de ces substances et leur aptitude à l'extraction par une technologie douce, ne favorisant pas l'extraction d'amertume. Les raisins les plus riches en anthocyanes ne donnent pas forcément les vins les plus colorés. Selon les conditions de maturité et les cépages, le potentiel d'extractibilité varie.
L'extractibilité des composés phénoliques dépend de la dégradation des cellules de la pellicule. Lorsque le raisin arrive à maturité, voire en surmaturation, sa quantité de pigments baisse. Pourtant, la richesse en anthocyanes du vin est plus élevée qu'avant maturité. Simultanément, la couleur et la quantité de composés phénoliques sont maximales dans le vin. L'accumulation des pigments dans la pellicule constitue donc une condition nécessaire, mais pas toujours suffisante, pour obtenir des vins colorés. Pour avoir une idée du niveau de dégradation de la pellicule, il faut écraser fortement une baie entre le pouce et l'index, et apprécier la coloration des doigts. Mais ce test ne suffit pas pour juger précisément la quantité, la qualité et l'extractibilité des composés phénoliques.
Les oenologues ont mis au point de nombreuses méthodes de détermination qualitative et/ou quantitative du potentiel phénolique des raisins rouges. Elles diffèrent par leurs objectifs et leurs techniques. Plusieurs sont basées sur la reproduction de la macération de baies. Les conditions de température, de durée et de solvant varient, donc les techniques d'analyses et les paramètres analysés également. La difficulté essentielle réside dans la méthode physico-chimique retenue pour extraire ces composés.
Ainsi, quatre procédés ont été mis au point : à la chambre d'agriculture de Gironde, par l'ITV (Institut technique de la vigne), par la Faculté d'oenologie de Bordeaux, et à l'Inra d'Angers. Face à cette multitude de techniques et de résultats, l'ITV a établi une méthode standardisée d'évaluation de la richesse phénolique des cépages rouges français. Elle répond aux exigences des vignerons en ce qui concerne sa fiabilité, sa simplicité, sa rapidité, sa sécurité et son coût. Elle repose sur la macération en milieu hydroalcoolique acide à température ambiante. En quelques heures, elle permet de donner la quantité de composés phénoliques totale, mais aussi leur capacité à être extraits des pellicules. En prélevant une à deux fois par semaine, il est possible de mettre en évidence la phase optimale de maturité, le moment où, après un maximum, la concentration en anthocyanes chute. Elle a été validée sur un grand nombre de cépages. Mais comme toute méthode, certains s'y prêtent mieux que d'autres.
Quelques cépages pourraient faire l'objet d'un procédé exclusif. Le BIVB (Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne) a élaboré, en collaboration avec l'Institut universitaire de la vigne et du vin, une méthode d'analyse de l'extractibilité des composés phénoliques des pellicules du pinot noir. Elle demande plusieurs heures de travail et du gros matériel. Son principe : une extraction à l'acétone, une autre en solution hydroalcoolique à pH 3,2, leur rapport donnant l'indice d'extractibilité. ' Cette technique peut être simplifiée en utilisant le méthanol, mais alors on sous-estime les tannins dans la pellicule, ce qui surestime l'extractibilité ', explique Christine Monamy, du BIVB. Elle travaille actuellement sur sa simplification afin de la rendre utilisable dans les laboratoires d'oenologie.
Des vignerons mettent au point leur propre méthode, basée sur la dégustation. Certains préparent un extrait de pellicule issu d'une macération de 24 heures dans une solution hydroalcoolique à pH 3,5. Le choix de la technique repose sur différents critères : sa mise en oeuvre pratique, ses possibilités d'évolution, et surtout les références déjà acquises grâce à l'une d'entre elles. Les bons vieux critères de maturité pulpaire (sucres, acidité totale et pH) ne doivent en aucun cas être substitués par le suivi de la maturité phénolique. Malgré leurs imperfections, toutes ces méthodes permettent de suivre de façon rationnelle l'évolution du raisin. Grâce à une base de données, chacune aide l'oenologue et le vigneron à cerner si le raisin est apte à être récolté.