Des essais réalisés dans le Sud montrent l'intérêt d'un sulfitage précoce et fractionné d'une vendange de sauvignon. Des résultats à moduler selon les cépages et les régions.
L'un des enjeux de l'oenologie moderne revient à concilier les impératifs techniques et les attentes - véritables ou supposées - des consommateurs. L'exemple est particulièrement parlant dans le cas du SO 2. Son utilisation reste pratiquement inévitable au cours de la vinification et de l'élevage pour protéger le moût, puis le vin, de l'oxydation et du développement de micro-organismes indésirables. Parallèlement, les consommateurs se laissent de plus en plus séduire par les discours de limitation des intrants, et notamment du SO 2. Ils souhaitent légitimement éviter les maux de tête liés aux excès de sulfitage. De plus, les vins à forte concentration en SO 2 ont des caractéristiques organoleptiques peu appréciées.
C'est dans ce contexte que l'ICV (Institut coopératif du vin) de Lattes (Hérault) a effectué ses essais. ' L'objectif est de comparer plusieurs modalités d'apport du SO2 afin de réduire la quantité totale apportée, tout en maintenant un niveau d'efficacité antioxydante suffisant pendant les opérations préfermentaires ', indique Lucile Blateyron. Les essais sont réalisés sur sauvignon blanc dans le vignoble languedocien. Le SO 2 est apporté sous forme d'une solution à 10 %. Deux lots sont définis. Le premier est sulfité à 5 g/hl avant éraflage et foulage. Le raisin est alors enzymé, éraflé, foulé, puis transféré dans un pressoir horizontal à plateaux. Le jus de goutte et celui de presse sont assemblés dans une même cuve, et sulfités à 5 g/hl au fur et à mesure du remplissage de la cuve. Le vin obtenu est réparti en trois cuves. L'une sera sulfitée normalement dès la fin de la fermentation alcoolique et en cours d'élevage. Les deux autres le seront dans un souci d'économie à toutes ces étapes. En fin de fermentation, elles ne reçoivent que 4 g/hl, contre 6 g/hl pour la première cuve. De plus, elles sont soutirées à deux reprises sans protection, alors que la première cuve reçoit 2 g/hl lors de ces interventions.
Le second lot de vendange subit les mêmes traitements préfermentaires, sauf qu'il est sulfité en deux temps, à 4 g/hl avant l'éraflage et le foulage, puis à 2 g/hl versés dans le pressoir lorsque le jus de goutte a cessé de couler. En fin de pressurage, le jus de presse est assemblé à celui de goutte, et aucun sulfitage n'est fait dans la cuve de réception. En fin de fermentation, le vin est sulfité normalement, puis durant l'élevage. Il n'est pas subdivisé en lots.
Des mesures des SO 2 libre et total sont effectuées à différents stades des phases préfermentaires. Comme il fallait s'y attendre, le sulfitage fractionné permet de mieux couvrir les moûts au début de la phase active du pressurage. A ce stade, ils titrent 48 mg/l de SO 2 libre, contre 25 mg pour les jus coulants de raisins, sulfités en une seule fois. Cependant, en fin de pressurage, on constate que les jus ne contiennent presque plus de SO 2 libre mesurable, et cela quel que soit le protocole de sulfitage.
Les teneurs en SO2 libre et en SO2 total, et le pourcentage de combinaison sont mesurés avant la mise en bouteille sur chaque lot. A ce stade, seuls les deux vins sulfités normalement pendant l'élevage ont assez de SO 2 libre pour préserver les arômes variétaux. Ils ont un taux de combinaison du SO 2 proche. Le plus intéressant reste celui du vin issu de la vendange sulfitée en deux temps.
L'analyse sensorielle met en évidence les effets des choix réalisés pendant les phases préfermentaires et d'élevage. Les vins sulfités à l'économie sont caractérisés par des descripteurs éthanal, rugosité et astringence intenses, tandis que les descripteurs agrumes et fruits blancs au sirop sont de faible intensité. Un profil peu apprécié en général par les consommateurs. Les notes déplaisantes sont d'autant plus marquées que la température en cours d'élevage était élevée.
Le lot issu de la vendange sulfitée en une fois n'a pas de caractère éthanal et les descripteurs fruités sont plus intenses. Mais gustativement, le SO 2 domine. Le lot sulfité en deux temps a été le plus apprécié par les consommateurs et on constate qu'il contient moins de SO 2.
Pour les phases préfermentaires, la modalité de sulfitage la plus efficace est donc celle qui consiste à fractionner l'apport, d'abord sur raisin avant foulage et éraflage, ensuite sur raisin dans le pressoir en fin d'égouttage. De cette manière, les jus sont bien protégés de l'oxydation, tout en réduisant l'apport total de SO 2. Lucile Blateyron remarque que ' dans un essai réalisé, par ailleurs, sur des raisins au pH plus élevé et avec des doses de SO 2 inférieures, ce fractionnement n'a pas suffi pour éviter des oxydations irréversibles des caractères aromatiques et gustatifs '.
Cela permet donc de rappeler que les doses de SO2 doivent se raisonner au cas par cas selon le pH, l'état sanitaire et la température de la vendange. L'Institut coopératif du vin met d'ailleurs en place des essais d'utilisation du froid pour limiter les phénomènes oxydatifs.
En Gironde, sur sauvignon aussi, on retrouve des préconisations similaires : un premier sulfitage de 3 à 5 g/hl à la vigne, surtout dans le cas d'une récolte mécanique ; un deuxième apport de 3 à 4 g/hl à la coulée des jus au cours du pressurage.
Dans d'autres régions plus septentrionales, sur des cépages moins sensibles, les premiers apports de SO 2 se font généralement sur moût à raison de 5 g/hl en moyenne. Un petit apport de 2 à 3 g/hl peut être réalisé plus tôt dans le cas d'une récolte mécanique sous des températures élevées. ' Cependant, nous préférons éviter d'apporter trop de SO 2 sur la matière première, car cela peut entraîner une extraction sur les rafles et donner un côté vert et dur au vin par la suite ', indique Arnaud Immélé, oenologue alsacien.