L'osmose inverse et l'évaporation sous vide ou à la pression atmosphérique concentrent les jus. Ces techniques sont intéressantes sur les millésimes délicats. Le reste du temps, elles apportent peu de chose par rapport à une chaptalisation, combinée à une saignée.
Osmose inverse, évaporation sous vide ou à pression atmosphérique : depuis quinze ans, une centaine d'essais ont été menés sur ces techniques destinées à concentrer les moûts par élimination d'eau. Sur rouge, elles semblent séduisantes : elles modifient le rapport entre le marc et les jus dans un sens favorable, en mimant une saignée traditionnelle. ' Utilisées à bon escient, ces techniques permettent une augmentation de la concentration en sucres, en acides, en précurseurs d'arômes et en composés phénoliques. Mais elles ne dispensent pas de la maîtrise des rendements à la parcelle et ne peuvent pas être utilisées sur des vendanges de mauvaise qualité ', prévient Jean-Luc Berger, directeur technique de l'ITV. Elles risquent d'amplifier les goûts herbacés des raisins peu mûrs ou les goûts de pourri des récoltes altérées.
Le nombre d'utilisateurs est estimé à 300 en Bordelais, 60 en Bourgogne et en Beaujolais. Le Val de Loire et l'Alsace sont en phase expérimentale. Approuvées par l'OIV et autorisées par la réglementation européenne, les méthodes soustractives sont suivies de près par l'Inao. ' La concentration ne pose pas un simple problème d'enrichissement. Elle modifie aussi l'expression du rendement et intervient sur l'image du vin perçue par les consommateurs ', dit François Roncin, responsable recherche et technologie.
Lorsque les expérimentations sont effectuées avec des vignes dont la charge est maîtrisée, les différences entre les vins obtenus par autoenrichissement et les témoins chaptalisés et saignés sont faibles. ' L'intérêt de ces techniques dépend fortement des conditions du millésime , constate Bernard Hébrard, responsable du service vin à la chambre d'agriculture de la Gironde. Elles s'avèrent efficaces sur des raisins mouillés par des pluies abondantes tombées juste avant la récolte, comme en 1999. ' En revanche, sur les deux derniers millésimes, de bonne qualité, la dégustation ne révèle pas de différence significative avec le témoin saigné et chaptalisé.
' Les résultats de nos essais, au niveau national et sur plusieurs années, changent beaucoup d'une vendange à l'autre, car la qualité de la matière première est prépondérante. Toutefois, on remarque que les différences s'estompent lorsqu'une saignée est pratiquée sur le témoin, en plus de la chaptalisation ', indique Valérie Lempereur, de l'ITV de Villefranche-sur-Saône.
A la demande du syndicat de Saint-Nicolas-de-Bourgueil, la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire a testé l'osmose inverse sur du cabernet franc. Les résultats indiquent un très léger gain de couleur, de gras et de longueur en bouche pour l'essai osmosé, par rapport au témoin saigné et chaptalisé.
' Vu le coût de cette technique, ce 'petit plus' ne se justifie que sur des vins bien valorisés , estime Gérald Vallée, à Saint-Nicolas-de-Bourgueil, le vigneron qui a accueilli les essais dans son chai lors des deux dernières campagnes. La mise en oeuvre est fastidieuse. Le moût à traiter doit être froid et très clair. ' Les exigences en turbidité dépendent des appareils. ' On fonctionne bien à 400 NTU, annonce Bernard Legrix de la Salle, directeur commercial chez Indagro (Bordeaux). Le plus difficile est de recueillir assez de jus par saignée. '
Ce jus ne doit pas avoir commencé de fermenter, car le CO2 endommage le matériel. Il ne doit pas être chaud ; sinon, l'eau éliminée est moins pure. En Beaujolais, un autre problème se pose. L'encuvage de grappes entières produit un faible volume de jus. Or, les capacités de concentration des machines sont limitées. Avec l'évaporation sous vide, la plus performante des techniques en terme de concentration, on ne peut pas amener le moût au-delà de 300 à 350 g/l de sucre. Si l'on porte un faible volume de jus à cette teneur, on ne relèvera que de peu le degré probable d'une cuve entière.
Un comparatif du coût des trois techniques a été réalisé par l'ITV, au travers d'enquêtes économiques en décembre 2000, chez dix-huit vignerons du Bordelais, de Bourgogne et du Beaujolais. Le coût de revient se répartit en charges fixes et variables. Les premières sont dues à l'amortissement, aux frais financiers, aux coûts d'entretien et de réparation. L'investissement représente la part la plus importante des charges annuelles pendant la durée de l'amortissement. Les charges variables intègrent les frais de personnel et le coût des consommables. Rapportées au volume d'eau éliminé, elles dépendent surtout du nombre de cuves traitées.
Le coût de ces techniques est à rapprocher du gain qualitatif attendu et de la valorisation qui en sera faite. ' Aujourd'hui, de 400 à 600 ma- chines fonctionnent en France ', estime le fabricant Indagro. Le coeur de ses ventes est constitué d'osmoseurs éliminant 300 l d'eau par heure et coûtant 34 000 euros. Toutefois, une majorité d'utilisateurs fait appel à la prestation de service. Michael Paetzold (à Cadaujac, Gironde) propose ce service depuis quatre campagnes. Il estime entre 7 et 15 euros/hl de vin fini, le prix d'un traitement par osmose inverse. Malgré leur coût, les techniques soustractives semblent avoir le vent en poupe, sans doute parce que la clientèle admet plus facilement une soustraction d'eau qu'une chaptalisation.