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L'ajout de bactéries au moût hâte la malo

La vigne - n°135 - septembre 2002 - page 0

Lorsqu'on inocule les moûts en bactéries lactiques, la fermentation malolactique se déclenche rapidement. A en croire ses promoteurs, cette technique présente d'autres avantages. Elle implique une matière première saine, et une fermentation alcoolique rapide et maîtrisée.

Ensemencer simultanément les moûts en levures et en bactéries lactiques paraît, à première vue, très risqué. En cas de ralentissement ou d'arrêt de la fermentation alcoolique, les bactéries peuvent métaboliser une quantité importante de sucres, et provoquer une augmentation de l'acidité fixe et volatile. C'est la piqûre lactique, un accident très redouté des vinificateurs. Pourtant, plusieurs équipes de recherches, en relation avec les fournisseurs et laboratoires d'oenologie, ont montré que le coensemencement était possible et que les bénéfices retirés étaient intéressants.

La société Lallemand travaille sur les bactéries lactiques depuis sept à huit ans et sur l'ensemencement précoce depuis quatre à cinq ans. ' L'idée de départ était de tester la technique de coensemencement sur des moûts de pH inférieurs à 3,5 pour limiter les risques. Mais on s'est rendu compte, plus récemment, que même sur des pH plus élevés, cela était possible dès lors que l'on a une bonne gestion des fermentations ', explique André Fuster, directeur technique France chez Lalle- mand. Les expériences réalisées sur riesling ont montré que l'inoculation simultanée en levures et en bactéries n'induisait pas une mise en route de la malo avant la fin de la fermentation alcoolique pour des pH bas.
Sibylle Krieger, responsable recherche et développement pour les bactéries, explique : ' Pendant la phase active de la fermentation alcoolique, on observe une petite baisse de la viabilité des bactéries Oenococcus oeni. Puis elles commencent à se multiplier pour arriver à un maximum en fin de fermentation. A ce moment peut débuter la fermentation malolactique . '

Les essais réalisés en Nouvelle-Zélande, en 2000, sur des chardonnays de pH de 3,28 au départ, ont montré que la malo des vins inoculés sur moût s'est terminée 48 jours plus tôt que celle des vins ensemencés en fin de fermentation alcoolique. Le coensemencement a par ailleurs amélioré les caractéristiques des vins obtenus : plus d'arômes de fruits, moins de notes beurrées, caramélisées et d'acidité. Comme la stabilisation du vin est plus rapide, il est disponible plus tôt pour les assemblages. Cette pratique trouve tout son intérêt pour les primeurs.
Chez Chr. Hansen qui étudie les bactéries lactiques depuis plus de dix ans, Eric Pilatte, responsable technique Europe du Sud, confirme la faisabilité de la technique : ' Les levures inhibent les bactéries lactiques au coeur de la fermentation alcoolique. ' En 1998, cette firme a testé l'influence du moment de l'inoculation en bactéries lactiques sur les caractéristiques des vins d'un malbec de pH de 3,46. Cinq modalités ont été appliquées : inoculation du moût frais, inoculation lorsqu'il ne restait plus que 40 g/l de sucres résiduels, inoculation en fin de fermentation alcoolique, malo spontanée et inhibition de la malo par addition de 50 mg/l de SO 2.
Toutes les modalités, sauf la dernière, ont permis la dégradation de l'acide malique. Les meilleurs résultats organoleptiques ont été obtenus avec l'ensemencement du moût, frais ou lorsqu'il contenait encore 40 g/l de sucres résiduels. Les vins avaient une meilleure couleur et plus d'arômes de fruits rouges.
Dominique Delteil, directeur scientifique de l'ICV, n'a pas fait de tels constats. Dans le cadre de ses expérimentations, menées de 1998 à 2001, sur chardonnay et sauvignon à des pH compris entre 3,4 et 3,6, le coensemencement n'a rien amélioré. Même s'il n'a entraîné aucune déviation, il n'a pas induit de malo plus rapide, ni d'amélioration des caractéristiques organoleptiques. ' Sur les moûts méditerranéens, nous recommandons l'ensemencement en bactéries lactiques juste après la fermentation alcoolique . '

' Le moment de l'inoculation ne doit pas se raisonner uniquement selon le pH, mais également en fonction des types de moût et de microorganismes ', explique André Fuster. Un coensemencement implique des conditions précises. Chr. Hansen ne le recommande que pour les vins blancs sur les moûts dont le pH est inférieur à 3,5, avec un sulfitage préalable de 4 à 5 g/hl. La clé de la réussite consiste en une bonne gestion des fermentations. Pour cela, la matière première doit être impeccable sur le plan sanitaire et l'hygiène de la cave rigoureuse. Le choix du couple levure-bactérie est primordial car les souches doivent être compatibles. La nutrition azotée doit être raisonnée en quantité, qualité et moment d'apport. Pour éviter les erreurs de manipulation, le personnel doit être bien formé. Eric Pilatte explique que ce sont plutôt les personnes ayant une expérience de vinification en Californie ou en Australie qui sont intéressées par le coensemencement. Cette technique reste plutôt marginale en France.
A la cave coopérative Les Vignerons de Buzet, à Buzet-sur-Baise (Lot-et-Garonne), Jacques Réjalot la pratique à grande échelle sur 4 % de la production depuis 2001. Il l'applique aux ' vins de printemps ' afin d'obtenir rondeur, fruit et légèreté, mais aussi pour avoir un produit de commercialisation plus rapide. L'an dernier, le 9 octobre, il a rentré des cabernets francs titrant 13° pour un pH de 3,54. Il les a sulfités à la dose de 4 à 5 g/hl sur le quai de réception. Le 10 octobre au matin, il les a ensemencés en levures puis, 14 heures plus tard, en bactéries. Le 14 octobre, il a compté les levures. Il a décuvé le 15 octobre, juste avant la fin de la fermentation alcoolique qui s'est achevée le 17 octobre. La fermentation malolactique s'est terminée le 29 octobre.
' Cette pratique demande une fermentation alcoolique rapide (environ huit jours) et maîtrisée avec des levures sélectionnées peu sensibles à la nutrition azotée, qui s'implantent bien et sont compatibles avec la souche bactérienne. L'aération doit être suffisante. Pour une meilleure gestion, nous travaillons dans des cuves autonomes, équipées indivi- duellement en pompe de remontage. A l'avenir, on espère vinifier 20 % de notre production selon ce système ', témoigne Jacques Réjalot. Pour les vignerons souhaitant se lancer dans une telle pratique, il est indispensable de bien contrôler tous les paramètres des deux fermentations et d'avoir connaissance des investigations faites sur les bons couples de levures et de bactéries.

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