La concentration des enseignes entraîne une diminution du nombre d'interlocuteurs pour les embouteilleurs. Pour rester dans la course, les fournisseurs doivent s'adapter.
A force de s'étendre et de gonfler, la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf a bien mal fini. .. Comme dans la fable, la grande distribution va devoir prendre garde à ne point trop forcir, au risque de déplaire au consommateur de vin. Car si l'acheteur de couche-culottes est surtout guidé par la recherche du produit, au meilleur prix, celui qui fréquente le linéaire de vins répond à une psychologie un peu plus complexe. Comme le montre une récente enquête (1), publiée par l'OIV (Office international de la vigne et du vin), les consommateurs européens revendiquent une grande diversité de l'offre. A titre d'exemple, Auchan présente dans chaque hypermarché entre 500 et 800 références différentes. C'est toute la difficulté à laquelle sont confrontés les responsables : se battre sur les prix tout en conservant un bon niveau qualitatif et un éventail de produits assez large.
Comme on pouvait s'en douter, le couple grande distribution-filière viticole est un mariage d'intérêt. Pour les uns, le rayon des vins est incontournable en terme de chiffre d'affaires des produits de grande consommation (premier rayon de grande distribution en France, troisième en Allemagne, quatrième au Royaume-Uni). Pour les autres, les grandes et moyennes surfaces représentent un débouché considérable. Comme le note Jérôme Villaret, l'auteur de l'étude : ' En France, la grande distribution représentait 46 % des ventes pour la consommation des vins à domicile des ménages en 1990. En 2000, selon Secodip, les ventes de vins dans ce circuit atteignaient 75 %' .
Pour attirer de nouveaux clients, les enseignes doivent proposer un meilleur rapport qualité/prix que leurs concurrents. Cela signifie des économies d'échelle. Celles-ci s'effectuent au travers d'un regroupement des fonctions d'achat au niveau européen (création en 1999 de la centrale Opéra entre Casino, Match et Cora), ou bien par le biais de fusion en vue d'améliorer leur rentabilité et réduire leurs coûts. ' Ce mouvement devrait encore s'amplifier. Auchan tente de multiplier par trois son chiffre d'affaires d'ici à 2005 ', dit Jérôme Villaret.
Cette concentration grandissante de la grande distribution nécessite une adaptation des fournisseurs. Le rapprochement des enseignes provoque une diminution du nombre d'interlocuteurs pour les embou- teilleurs. ' Dans la fusion Carrefour/Promodès, les deux centrales d'achats des vins ont été réunies. Les équipes ont été réorganisées et il ne reste plus qu'un seul acheteur par région de production. Avant, les deux enseignes géraient un total de 1 300 références permanentes. Pour homogénéiser les assortiments de tous les magasins, la centrale d'achat n'a retenu que 700 références. Le groupe a tenté, pour chaque fournisseur de vins, de maintenir son volume de livraison antérieur à la fusion, malgré la division par deux du nombre de références ', explique l'analyste.
Pour Ahold, premier distributeur de vins aux Pays-Bas, les fournisseurs doivent répondre aux nouvelles contraintes de la grande distribution. La ' perle ' rare doit ' maîtriser la chaîne logistique pour être capable de livrer dans toute l'Europe ', ' fournir les quantités nécessaires au suivi des références dans toute l'enseigne et tout au long de l'année '...
Certains responsables préconisent aux embouteilleurs de créer des marques commerciales fortes, capables de répondre à ces impératifs. Comme le note Jérôme Villaret, ' il n'existe pas de domaines ou de châteaux capables d'approvisionner, à l'échelle européenne, le fond de rayon des centrales d'achats géantes '. Face à cet état de fait, le groupe Carrefour avoue que la disproportion de taille entre le distributeur et le fournisseur peut devenir un handicap dans la diversité de l'offre. Globalement, les grandes enseignes s'approvisionnent de quatre façons. Pour les entrées de gamme, l'interlocuteur privilégié reste le négoce embouteilleur multi-régional, qui dispose de capacités importantes et peut livrer de grosses quantités avec de faibles marges.
En revanche, les grandes et moyennes surfaces font appel au négoce spécialiste de région de production pour assurer la prospection ' de nouveaux talents '. Les caves coopératives apparaissent, quant à elles, comme les partenaires privilégiés pour les marques de distributeurs. Enfin, la majorité des achats auprès des caves particulières passent par l'intermédiaire de négociants spécialisés capables de maîtriser la logistique, la régularité entre les millésimes...
Selon Jérôme Villaret, ' les fournisseurs de la grande distribution doivent adapter leur stratégie d'entreprise pour rentrer dans l'un des quatre modèles s'ils veulent continuer à les approvisionner encore demain '.
La concentration des enseignes renforce le pouvoir de négociation des acheteurs des centrales d'achats. Les embouteilleurs qui livrent régulièrement la grande distribution ne peuvent pas prendre le risque d'être rayés des listes. Conscientes de leur poids, les centrales d'achats les poussent à rogner toujours plus sur leur marge pour permettre aux enseignes de proposer des vins moins chers que leurs concurrentes. Sur ce point, l'étude de l'évolution des prix pratiqués par Carrefour, avant et après sa fusion avec Promodès en 2000, est édifiante. Avant le rapprochement, Carrefour avait un positionnement de prix supérieur à la moyenne de la grande distribution sur la majorité des appellations. Après 2000, l'enseigne retrouve un positionnement beaucoup plus agressif...