La fréquence des remontages, des pigeages ou des délestages dépend essentiellement de la maturité de la vendange. Les raisins peu mûrs nécessitent les plus grandes précautions. C'est une conséquence de la dynamique d'extraction des composés phénoliques.
Les anthocyanes sont extraites en phase aqueuse, donc dès l'encuvage, au moment de la macération préfermentaire et en début de fermentation alcoolique. Les tanins des pellicules sont extraits beaucoup plus régulièrement, mais aussi plus lentement tout au long de la macération. Enfin, les tanins de pépins ne sont extraits qu'au-delà d'une certaine teneur en alcool, qui permet de laver le pépin de sa couche lipidique, empêchant leur diffusion. Ils commencent donc à être libérés en milieu de fermentation et au cours de la phase postfermentaire.
' Il faut raisonner les remontages selon la qualité du raisin. Sa maturité est le facteur le plus important ', résume Yves Glories, à la faculté d'oenologie de Bordeaux. Le terme générique de remontage recouvre ici cette technique proprement dite, ainsi que le pigeage et le délestage qui servent aussi à extraire les composés phénoliques.
Selon le raisin, s'il y a beaucoup d'anthocyanes extractibles dans les pellicules, on pourra augmenter les remontages de la phase préfermentaire. S'il y a beaucoup de tanins de pépins, on pourra diminuer les remontages en période alcoolique, voire les éliminer en phase postfermentaire de façon à bloquer l'extraction.
' Avec un bon raisin, peu importe la technique. Celle-ci intervient lorsque le raisin pose des problèmes. Elle sert alors de relais à sa maturité ', explique Yves Glories. Avec un raisin de moins bonne qualité, le choix de la technique importe davantage. ' Mais quelle qu'elle soit, il se crée des courants préférentiels dans la cuve ', observe Yves Glories.
' Il faut arriver à fendre le chapeau en plusieurs petites plaques, qui puissent se retourner en douceur. Ainsi, toutes les pellicules baigneront dans le jus et l'extraction sera homogène , conseille Daniel Granès, directeur de l'ICV (Institut coopératif du vin) de Narbonne. Les remontages ne permettent pas vraiment d'arriver à ce résultat. On risque de lessiver les éléments de la pellicule . '
Par ailleurs, plus la fermentation est avancée, plus il faut être doux. Car l'extraction augmente avec la concentration en alcool. Une autre technique se développe, celle du demi-délestage, en particulier en Languedoc-Roussillon. On vide entre la moitié et le tiers de la cuve dans un cuvon tampon. Le chapeau descend avec le niveau de vin, mais reste en surface. On peut ensuite l'arroser avec un tourniquet.
' Mais seul le délestage draine vraiment le chapeau ', estime Daniel Granès. Lorsque cette technique est maîtrisée, l'extraction est douce, qualitative et totale. On vide d'abord la cuve. On laisse le chapeau s'assécher et se briser sous son propre poids durant 30 min à 1 h30. On reverse le vin sur le chapeau. Ce dernier se décompacte, favorisant la diffusion des polyphénols, et remonte au bout d'un moment.
En fait, un remontage est moins doux qu'un demi-délestage, lui-même moins doux qu'un délestage. Cela est vrai à température et richesse en alcool égales. Car pour une même matière, si la cuve est froide et le vin peu alcoolisé, un remontage peut s'avérer moins violent que le délestage d'un vin plus chaud et plus riche en alcool. Enfin, il reste à éviter les grandes longueurs de tuyaux, sans quoi la pompe force, abîme le moût et accroît le risque d'extraction de caractères végétaux.
En règle générale, on estime qu'il faut deux remontages par jour pendant la phase active de la fermentation. Au-delà de trois, on provoque des lessivages importants et une extraction des polysaccharides végétaux, facteurs d'instabilité de la matière colorante. Le volume de jus remonté est aussi à prendre en compte. ' Un volume de cuve, c'est bien. Un volume et demi, c'est beaucoup. Deux volumes, c'est le maximum ', estime Yves Glories.
Trop de remontages nuisent en effet à la qualité du vin. La conséquence d'une telle erreur dépend du moment. En début de fermentation, on risque d'accentuer les caractères végétaux d'une vendange insuffisamment mûre. En fin de fermentation, on peut extraire trop de tanins de pépins.
' Les remontages ne se pilotent pas à la dégustation, trop difficile pendant la fermentation, mais à la connaissance de la matière première ', conseille Yves Glories. Les données précises de maturité sur l'équilibre phénolique du raisin permettent de prévoir le nombre de remontages, la température de vinification... à tel point que le travail de remontages peut être automatisé (cuves spéciales, gestion par ordinateur...).
En Bordelais, l'ITV étudie la gestion des remontages, en menant des essais comparatifs selon la fréquence, l'intensité et le moment des remontages. Un millésime reste encore à tester, avant de livrer les résultats. A Bordeaux et à Nîmes, on étudie aussi l'équipement associé à la cuverie pour le travail du vin lors de la macération : turbopigeur, cuves à remontage et à pigeage...
Le pigeage semble extraire plus facilement les tanins de pépins que le remontage. Il donne de meilleurs résultats en Bourgogne, dans la région de Châteauneuf-du-Pape sur le grenache, en Rioja sur le tempranillo, voisin du pinot. En revanche, en Toscane sur le sangiovese, les remontages fonctionnent mieux. Des raisons pratiques expliquent aussi parfois la préférence pour telle ou telle technique. Le pigeage, par exemple, est bien adapté aux petites cuvées bourguignonnes.
Enfin, ' il existe très souvent un décalage entre l'équipement de la cave et les objectifs de production, remarque Daniel Granès, directeur de l'ICV de Narbonne. L'organisation du personnel et celle du calendrier de travail ont une grande importance. ' Cela vaut quels que soient le lieu et le raisin.
Et Yves Glories rappelle deux règles d'or : ' Eviter de faire tous les ans la même chose ; s'assurer de ne mettre dans la cuve que de bons raisins . '